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Ludifier les apprentissages en EMI : nouvelle facette de la lutte contre la désinformation

Comment éduquer aux médias aujourd’hui ? Comment parler de l’actualité avec les élèves et répondre à leurs questions dans ce moment si conflictuel ? Comment enseigner l’esprit critique, et que met-on derrière cette notion ? Alors que la semaine de la Presse et des Médias dans les Écoles se termine en France, ces questions ressurgissent. Rencontre avec trois initiatives qui proposent de l’EMI en s’amusant.

Depuis quelques années, l’EMI est au coeur des priorités de nombreuses institutions, dont la Commission Européenne et l’UNESCO, la discipline figure déjà au coeur du programme scolaire de certains pays. L’objectif : apprendre à distinguer le vrai du faux, former à l’esprit critique, repérer les informations fiables, bref donner aux citoyens les clés pour ne pas tomber dans le piège des fausses informations.

Afin de sortir du modèle du cour magistral ou de la distribution de polycopiés, certaines initiatives d’EMI ont choisi de rendre leurs apprentissages plus ludique. Ajouter des éléments de jeu aux activités d’apprentissage les rend plus engageantes pour les apprenants. C’est l’objectif principal de la ludification de l’apprentissage, et l’éducation aux médias n’est pas en reste.

Nombre de jeux vidéos, jeux de plateau, de carte, quiz ou vidéos interactives voient le jour dans la Francophonie. Aujourd’hui, nous avons choisi de zoomer sur trois initiatives présentes sur ODIL qui ont choisi détourné les codes de l’EMI pour amuser leurs publics. 

De Madagascar à la Belgique en passant par Paris, Factivistes, C’est pas Sourcé, et Hellink oeuvrent pour une éducation aux médias et à l’information ludique et efficace auprès des jeunes.

Si les enjeux sont similaires, les méthodes sont différentes.

« C’est pas sourcé » est un jeu de cartes conçu par équipe d’animateurs et d’animatrices de Actions Médias Jeunes. Le durée de la partie (avec les retours) est d’environ une heure quarante. Les participants incarnent un journaliste qui enquête sur un fait divers dans une école. Ils vont devoir faire des choix dans les sources utilisées pour mener l’enquête.

Hellink est un jeu vidéo dans lequel le joueur mène l’enquête dans un univers de science-fiction pour résoudre le piratage de l’université Néo-Sorbonne, et doit pour cela rebondir d’une source d’information à l’autre pour obtenir les indices nécessaires, et contrecarrer les assertions fallacieuses de ses adversaires en pointant les incohérences dans leur argumentation et leurs sources.

Logo de Hellink
Logo de factivistes

Factivistes ne produit pas de « jeu » à proprement parler, mais a choisi une méthode de communication originale pour lutter contre la désinformation auprès de la population malgache : les memes. Un défi intéressant quand on sait à quel point ce support est utilisé dans les campagnes de désinformation sur internet.

Inévitablement, le contexte diffère aussi beaucoup. Ricard Andrianamanana explique :

« Pour le contexte malgache, internet est sensiblement égal à Facebook et beaucoup de fausses informations circulent sur Facebook.

Ricard Andrianamanana, Factivistes

C’est en réponse à cela que nous avons créé Factivistes, pour donner une autre alternative. Le but n’est pas d’être un vérificateur d’information ou un site de fact-checking, mais on encourage l’esprit critique. On donne aussi les réflexes à encourager pour faire sa propre opinion sur la base de techniques de vérification, d’information fiable et accessible à tous.»

Exemple de vidéo de Factivistes

Passer du cours au jeu : l’exercice de la ludification

Dans de nombreux pays, l’EMI n’est pas à proprement parler une matière scolaire, mais une compétence transversale, ce qui guide la réflexion autour de son enseignement. Actions Médias Jeunes explique ne pas passer par des supports de cours théoriques existants, mais plutôt en fonction des objectifs poursuivis -ici l’affutage de l’esprit critique, un mot valise par ailleurs, que Maxime Verbesselt précise : « outiller les jeunes par cette animation-là à mieux vérifier les infos, c’est plutôt de faire se poser les questions que se poserait des journalistes pour comprendre plutôt tout ce qui est problématisé de manière très concrète, les questions face auxquelles sont confrontés les journalistes. » Pour Action Médias Jeunes, la ludification passe par l’incarnation du personnage de journaliste qui amène à se poser des questions sur les sources, la manière de mener une enquête, etc.

Du côté d’Ikigaï, c’est la collaboration entre des universitaires et des créateurs de jeux qui a permis la naissance d’Hellink, plus précisément « d’une part les bibliothécaires, du coup, experts de l’information et experts pédagogiques sur le sujet. Et [leur] équipe à Ikigaï, experts du jeu vidéo, game designer, graphiste ». L’enjeu a été de sélectionner les principaux objectifs pédagogiques pour construire une narration autour : « en manipulant simplement les mécaniques de jeu, les joueurs/joueuses accèdent aux propos pédagogiques, c’est à dire que le propos pédagogique ne soit pas porté par des pages de cours, des textes qui sont accessible après le jeu, comme si le jeu était un prétexte pour avoir du cours, c’est vraiment le jeu en lui-même qui par sa manipulation transmet les notions

Pour Factivistes, l’enjeu dans la communication est la vulgarisation : «on essaie de le simplifier au plus possible car parler d’éducation aux médias, parler d’information, c’est quelque chose de très difficile, très théorique. Et on essaie de le parler d’une manière très très simple et même avec des argots locaux avec la langue malgache, on arrive à trouver des memes à partager pour que ça passe mieux dans la compréhension des personnes qui nous suivent ou qui nous regardent sur les réseaux.»

Impliquer le public pour marquer les esprits et inculquer du savoir

Mais alors comment être surs que les publics ressortent en ayant appris quelque chose ? Toutes les initiatives ont à coeur d’impliquer leur public. Maxime Verbesselt souligne l’importance de relancer le jeu en invitant les joueurs à faire des choix, mais aussi de prendre le temps de faire un compte-rendu post-partie, activité complémentaire du jeu en tant que tel : « C’est ce qui se passe après le jeu qui est vraiment important, quand on a joué au jeu, on a vécu une expérience, il faut pouvoir après formaliser les compétences.» Dans le cas d’Hellink, l’évaluation de l’implication des publics passe par une phase de playtest en fin de production, mais aussi par les réactions des élèves :

« quand le formateur/formatrice propose de lancer le jeu, généralement, les étudiants font un peu la tronche parce qu’ils sont assez habitués à ce que le Serious Game, comme on l’appelle, soit souvent plus Serious que Game. Quand ils lancent le jeu, il voit tout de suite que ça reprend vraiment les codes de l’industrie du jeu vidéo »

Thomas Planques, Ikigaï Games

Un travail inspiré des univers de CyberPunk ou Phoenix Wright Ace Attorney.

Bande annonce de Hellink

La questions de l’acquisition des savoirs en EMI a été étudiée récemment dans une étude anglaise de l’Université de Southampton, qui met en doute les bénéfices de la ludification dans le cadre spécifique de la lutte contre la désinformation. En fait, les invités s’accordent à dire que l’important est de définir des objectifs. L’EMI étant une discipline en vogue, le terme de « jeu d’EMI » semble être devenu un parapluie pour désigner des productions dont la qualité est variable « des productions qui sont faites par des gens, qui ne sont finalement pas beaucoup de sciences et design, et qui vont faire une espèce de plateau de Trivial Pursuit, ou de quizz déguisé en disant « et voilà, c’est un jeu », effectivement ce genre de choses, ça doit fonctionner, je pense, pas super bien. » a transférabilité des savoirs entre le jeu et ce qui se passe après est essentielle : il faut donc formaliser les compétences acquises pendant le jeu pour les appliquer après. Maxime Verbesselt insiste également sur l’importance de faire la différence entre cours théoriques et jeux éducatifs: les cours théoriques sont pour apprendre des savoirs, les jeux éducatifs sont plus adaptés pour apprendre des savoirs-faire et des savoirs-être, pour développer des stratégies collectives.

Quelle que soit l’initiative ou le pays membre d’ODIL, le but est le même : toucher le public là où il se trouve. En Europe, où l’on assiste à une saturation d’internet et des réseaux sociaux, il peut être nécessaire d’utiliser d’autres techniques pour attirer l’attention, comme les jeux vidéo ou les jeux de plateau en groupe. À Madagascar, l’approche consiste ici à aller chercher les gens là où ils se trouvent. Pour ceux qui n’ont pas accès à internet, il faudra les sensibiliser directement sur le terrain.

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