Notre dernier podcast a réuni trois invitées pour discuter du rôle de la désinformation genrée dans la santé, la politique et sur Internet. Leur conversation a offert des perspectives variées et souligné des rapprochements intéressants dans les dynamiques.
La désinformation genrée a différentes conceptions. Elle est définie par le Wilson Center comme « un sous-ensemble des abus et violences misogynes à l’encontre des femmes qui prend la forme de narratifs mensongers ou trompeurs fondés sur le genre et le sexe, souvent dans une certaine mesure de manière coordonnée, et dont le but est de dissuader les femmes de participer à la sphère publique. »
On voit notamment dans les travaux de Lucina Di Meco, cofondatrice de #ShePersisted que la désinformation genrée peut aussi être définie comme « la diffusion d’informations et d’images trompeuses ou inexactes à l’encontre des femmes dirigeantes politiques, des journalistes et des personnalités féminines »
Définir la désinformation genrée a été le sujet d’une table ronde menée par Eu Disinfo Lab : Gender-Based Disinformation: Advancing Our Understanding and Response. On peut lire dans la publication associée que, dans son rapport de 2020, le National Democratic Institute présente la désinformation genrée en comme des activités en ligne qui attaquent ou sapent leurs cibles sur la base de leur genre en instrumentalisant des récits pour des objectifs politiques, sociaux ou économiques. Dans leur étude de 2021 sur les campagnes de désinformation sexiste et sexuelle en ligne contre les femmes dans la vie publique sur les plateformes de médias sociaux, Jankowicz et ses collègues du Wilson Center identifient trois caractéristiques définissant la désinformation sexiste en ligne : la fausseté, l’intention malveillante et la coordination.
Comme beaucoup de désinformation, la désinformation genrée s’appuie sur des stéréotypes de genre ou des idées reçues: en politique notamment, Marie Lamensch explique que « On fait vraiment aussi appel à des idées complètement fausses, mais qui existent depuis longtemps sur les femmes, comme quoi elles sont moins intelligentes. Par exemple, quand on s’attaque à elles, quand on voit les discours, pour essayer de les discréditer, c’est toujours la même chose. On s’attaque principalement à comment elles parlent, par exemple, la tonalité de leur voix, à quoi elles ressemblent. On ne va pas s’attaquer à leurs idées. Par exemple, quand un politicien va s’attaquer ou critiquer un homme, il va s’attaquer plutôt à ses idées politiques Alors qu’avec une femme, souvent, ce qu’on va voir, c’est s’attaquer à son aspect physique, à sa voix. On dit souvent d’une femme qu’elle aurait la voix de crécelle, etc., ou qu’elle aurait un aspect un peu folle. »
En santé, les idées reçues constituent aussi le socle de désinformation à l’encontre des femmes, et peuvent aussi avoir des conséquences dramatiques comme l’explique Ramata Kapo, de l’association Excision parlons-en, qui lutte contre les mutilations sexuelles féminines : « Les idées reçues autour des mutilations sexuelles féminines sont multiples et sur plusieurs aspects. La première est l’une qui revient sans cesse, qui est celle autour de la religion. Souvent, il est dit que les mutilations sexuelles féminines sont dictées par la religion, notamment musulmane. Et souvent, cette idée reçue est portée par des dignitaires religieux qui sont, comme vous le savez, des hommes. […] »
Dans la désinformation genrée et ses idées reçues existent l’idée d’essentialiser la femme à son corps, réduire le concept de la femme à son aspect physique, en négligeant ou en minimisant d’autres aspects de son identité, tels que ses compétences, son intelligence ou ses réalisations. Cela implique de considérer que la principale valeur d’une femme réside dans son apparence physique plutôt que dans ses capacités intellectuelles, émotionnelles ou professionnelles.
De plus, l’idée d’essentialiser la femme à sa fonction sexuelle/reproductive signifie la considérer principalement ou exclusivement en termes de son rôle biologique de reproduction et de sexualité. commùe l’explique Ramata Kapo : « la deuxième des idées reçues, c’est autour de la santé et de la sexualité. C’est que souvent, on entend qu’une femme qui a été mutilée, c’est une femme qui ne peut pas avoir de plaisir sexuel. Et pour moi, c’est une désinformation parce que ça met la femme dans une position où elle ne vit que par rapport à un organe qui est le clitoris, et qui a une fonction, c’est de procurer du plaisir. Et on sait que la femme ne peut pas être réduite qu’à ça. » Cela limite la perception des femmes à leur capacité à donner naissance et à leur rôle dans les relations sexuelles, ignorant ainsi leur diversité de rôles et d’identités au-delà de ces aspects biologiques.
Les invitées notent une volonté de diffuser des informations fausses et de promouvoir des stéréotypes réducteurs sur les femmes, en les réduisant à leur corps et à leur fonction sexuelle/reproductive, une approche qui limite la reconnaissance de l’ensemble des capacités et des rôles des femmes dans la société, contribuant ainsi à perpétuer des inégalités et des discriminations basées sur le genre.
Les trois invitées de ce podcast travaillent sur des thématiques relativement éloignées ; elles s’accordent pourtant à dire que, sur internet, en politique ou en santé, la désinformation genrée contribue à invisibiliser les femmes. Marie Lamensch prend notamment l’exemple des plateformes de jeu vidéo « Je pense qu’il y a beaucoup de femmes qui sont sujettes à la désinformation genrée dès le moment où elles tentent de prendre la parole sur les réseaux sociaux, par exemple ». Pour lutter contre ce phénomène, Ramata Kapo invite à visibiliser davantage les témoignages des femmes : « C’est important pour nous que les femmes puissent prendre la parole, qu’elles soient encore plus visibles, et qu’elles puissent parler et témoigner de ce qui leur arrive pour qu’elles-mêmes puissent être dépositaires de ce qui est dit, de ce qui est entendu. Et malheureusement, ce sujet étant tabou, on n’entend pas beaucoup de femmes.» Johanna Soraya Benamrouche, présidente de Féministes contre le cyberharcèlement, a aussi contribué a faire entendre des voix longtemps tues: «On a lancé notre première campagne en 2016, suite à une mobilisation organique en ligne, pour aider des jeunes filles, principalement racisées, victimes de revenge porn en ligne, qui n’arrivaient pas à faire supprimer des contenus. Donc on était des dizaines de féministes à essayer depuis plusieurs mois de les aider dans leur dépôt de plainte, le retrait de contenu, la discussion avec les plateformes, et en fait, rien n’était fait du côté des géants de la tech ou des autorités pour faire quelque chose et voir retirer ces contenus. Donc on a lancé le hashtag #TwitterAgainstWomen, qui a été la première mobilisation en ligne digitale et massive qui parlait des cyberviolences en France. Sur nos médias sociaux et qui a permis de révéler par des témoignages, des articulations, des analyses, que de nombreuses personnes étaient touchées. Ça a eu un écho à auprès de centaines de milliers de personnes qui ont témoigné, qui ont relayé.»
Car il y a des auteurs derrière ces campagnes de manipulation. Ils sont divers, mais pas si différents que ça. Marie Lamensch explique : « Ce qui est effrayant, c’est que c’est souvent par des gens qui font déjà partie des hommes, qui font déjà partie de la sphère publique, et c’est pour ça que ça va être souvent des politiciens, » ; « souvent le messager va déjà être dans une position de force, c’est certain, il y a déjà son petit groupe autour de lui qui va l’aider à coordonner toute cette désinformation. » L’étude menée par Féministes contre le cyberharcèlement montre que « 74% des personnes impliquées dans la perprétation des cyber-violences sont des hommes. Et du coup, même quand il y a des femmes impliquées, des femmes qui relaient, des jeunes filles qui relaient, nous, ce qu’on a remarqué très souvent, c’est qu’elles sont conduites et perpétrées avec un projet vraiment de destruction de l’intégrité physique, psychique par des hommes, et aussi que très souvent, ces personnes sont connues. Donc tous les discours sur l’anonymat, sur Internet, etc., c’est à relativiser »
Bien que le futur ne semble pas de bonne augure (les I.A ont déjà des biais de genre dans les réponses qu’elles apportent), il semble que des progrès soient en cours. Johanna Soraya Benamrouche estime que l’arsenal législatif français est bien doté en ce qui concerne les sanctions contre les agresseurs ; elle salue l’arrivée du Digital Services Act et rappelle que à l’échelle étatique, « il va falloir appliquer ce Digital Service Act et en faire quelque chose de contraignant» Pour Johanna-Soraya, « on a besoin de moyens pour que tout le monde soit formé à ne pas culpabiliser les victimes, à recueillir des preuves, à ce que les frais du coût de justice pour notamment monter un dossier, accéder au droit, que ce soit facilité, chose qui n’est pas faite. » Elle plaide enfin pour davantage d’éducation sexuelle en France : « on demande la prévention et des changements de discours qui ne soient pas tournés seulement sur les actions des victimes et comment elles devraient se comporter, ou comment elles devraient s’adapter à la loi de l’agresseur, mais plutôt qui responsabilisent les agresseurs, qui permettent aussi de déconstruire leurs usages par la formation et l’accompagnement. »
La formation, c’est aussi le cheval de bataille d’Excision parlons-en, afin de lever le voile sur ce sujet encore tabou : « Nous travaillons beaucoup dans l’éducation et notamment l’éducation des jeunes filles sur ces sujets-là pour leur donner les formations, les informations, pour qu’à leur tour, elles puissent donner les informations exactes. »
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