Qu’est-ce la pandémie a changé au journalisme scientifique ? Quelle place pour le journalisme scientifique dans la lutte contre les fausses nouvelles ? Ce premier épisode de la deuxième saison d’Odil, le podcast offre des perspectives croisées du Québec, du Mali et du Togo.
La pandémie de Covid-19 a été au coeur de l’actualité de ces trois dernières années. En France, elle a occupé 74% de temps d’antenne sur les chaines d’information en continu pendant les deux mois de confinement. En parallèle, dès le 17 mars, 20 nouvelles études paraissent chaque jour au sujet du Covid, sans compter les pré-prints.
Face à cette explosion de données scientifiques, sanitaires, bien des journalistes se sont retrouvés désemparés lorsqu’il s’agissait de confirmer ou d’infirmer les résultats d’une étude, de commenter une décision politique sanitaire ou de vérifier l’efficacité d’une solution proposée.
Et pour cause : couvrir l’actualité scientifique, vulgariser la science et la rendre accessible, c’est le travail du journaliste scientifique dont toutes les rédactions ne sont pas dotés.
Pour ce premier épisode de la deuxième saison d’ODIL, le podcast, nous avons choisi d’en inviter trois pour qu’ils nous expliquent, plus de trois ans après le début de la pandémie, comment le Covid a mis en valeur la nécessité du journalisme scientifique pour appréhender des phénomènes sanitaires globaux.
Mardochée Boli est journaliste scientifique, vérificateur des faits et entrepreneur et correspondant au Mali pour Pesacheck. Un peu plus au Sud, Kossi Elom Balao (Togo) a cofondé le Réseau des Journalistes Scientifiques d’Afrique Francophone. Enfin, Pascal Lapointe est rédacteur en chef de l’Agence Science Presse seule agence de presse scientifique au Canada qui revendique s’adresser aux grand médias plutôt qu’au public directement.
Pascal Lapointe a été journaliste pendant 20 ans, et le premier mot qui lui vient à l’esprit quand on lui demande de tirer les leçons de la pandémie de de Covid, c’est le terme «d’omnicrise » utilisé par Ed Yong. C’est la première fois d’ailleurs, pendant le Covid, que la science a pris une telle ampleur médiatique : « On n’a jamais vu ça, un sujet scientifique occuper autant de place dans les médias pendant aussi longtemps. » Kossi Balao confirme : au Togo, la pandémie a « bouleversé le travail des journalistes et […] réinventé une partie du métier ». Elle a remis au coeur des enjeux du journalisme l’importance de la fiabilité de l’information notamment en santé :
« c’est une question de vie ou de mort ».
Kossi Balao, à propos de l’importance de la fiabilité de l’information en santé.
Même son de cloche du côté du Mali de Mardochée Boli, alors que le JSTM accueillait des collaborations de scientifiques directement dans ses colonnes.
Il s’agit cependant de souligner que le travail du scientifique et celui du journaliste scientifique est bien distinct. Pascal Lapointe l’assène : le journaliste scientifique n’est pas un scientifique, « De la même manière qu’on ne demande pas un journalistes économique d’être un homme d’affaires, […] ou un journaliste culturel de savoir danser ou de savoir chanter, » renchérit Kossi Balao. Pour Mardochée Boli, c’est surtout une question de moyens : le JSTM vit sur fonds propre depuis sa création, et manque d’argent pour retenir ses nouvelles recrues.
Le JSTM s’évertue pourtant à les former, et les trois interlocuteurs s’accordent à dire qu’il faut former davantage les journalistes généralistes ou à recruter davantage de journalistes spécialisés en science dans les rédactions.
Si l’une des tâches principales du journaliste scientifique est de connaître les codes de la science il s’agit d’être capable de la vulgariser et de donner envie au public de s’informer à ce sujet. Pour Mardochée Boli du JSTM, cela passe d’abord par le vocabulaire : il faut écrire dans « un français facile, mais ne pas aussi tomber dans la simplicité, et écrire de façon, […] terre à terre, pour que celui-même qui n’est pas à l’école, lorsqu’il lit, il vous comprend ». Kossi Balao, de son côté, a mis en place un système de revue par son père. Son article terminé, il va lui en expliquer les idées principales tout en traduisant en ifè (sa langue maternelle) et en s’assurant que le coeur du sujet est compris correctement. Du côté du Québec, même combat : « Je dois me débarrasser du jargon, je dois expliquer, trouver des métaphores, Je dois structurer mes textes d’une façon journalistique. Jamais, jamais, jamais, jamais, je vais écrire un texte dans un format introduction, développement, conclusion, comme un scientifique. » explique Pascal Lapointe.
Fin 2022, Heidi News se demandait « A-t-on encore besoin du français en sciences ? » et soulignait le fait que la langue anglaise prenait de plus en plus de place dans les productions scientifiques. Pour Pascal Lapointe, au Québec, ce n’est pas un problème puisque la science a toujours été en anglais depuis ses débuts en tant que journaliste scientifiques -compréhensible au regard du contexte bilingue du territoire dans lequel il oeuvre. Mais pour Kossi Balao, c’est précisément la raison d’exister du Réseau des Journalistes Scientifiques d’Afrique Francophone, « pour encourager la diffusion de l’information scientifique au sein de l’espace francophone et encourager aussi les médias, les rédactions francophones à embaucher des journalistes scientifiques et à travailler en langue française. » L’anglais lui sert davantage de passerelle pour s’adresser à des interlocuteurs, mais il encourage la création d’initiatives scientifiques en Français.
De trois endroits différents de la Francophonie, Kossi Balao, Mardochée Boli et Pascal Lapointe sont unanimes : la pandémie de Covid-19 a été un tournant décisif dans la place accordée au journalisme scientifique pour les rédactions. Pour contrer la prolifération de fausses informations en santé, le journalisme scientifique doit être placé au coeur des préoccupations des médias. La nécessité de former public et journalisme devient de plus en plus importante.
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