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Au Mali et au Tchad, La Voix de Mopti et SaoCheck s’allient contre la désinformation genrée

En 2024, six projets ont remporté l’Appel à projets de jumelage des initiatives francophones de lutte contre les désordres de l’information. Focus sur le projet « Formation des membres des réseaux de femmes au Mali et au Tchad sur les techniques de vérification et de lutte contre la désinformation basée sur le genre », conduit par la Voix de Mopti (Mali), en partenariat avec SaoCheck (Tchad).

Outiller les femmes journalistes et la société civile pour contrecarrer la désinformation genrée : c’est l’objectif du projet développé par La Voix de Mopti (Mali) et SaoCheck (Tchad), en partenariat avec l’association féministe malienne La Femme en moi. Depuis octobre 2024, les deux organisations ont mis en place des formations et réalisé des podcasts en langues locales dans les deux pays. 

Pour en parler, ODIL a reçu Yacouba Dramé, directeur de publication de La Voix de Mopti, et Fadoul Hissein Abba, directeur des opérations chez WenakLabs, hub d’innovation numérique à l’origine de SaoCheck. Cet entretien croisé est le premier d’une série de retours d’expérience des lauréats de l’Appel à projets de jumelage des initiatives francophones de lutte contre les désordres de l’information de 2024, porté par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). 

En quoi consiste le projet ? À date, quels sont les résultats ? 

Fadoul Hissein Abba : Nous nous sommes mis ensemble avec La Voix de Mopti et La Femme en moi pour renforcer la capacité des organisations féminines à identifier et à prévenir la désinformation genrée. Nous avons travaillé sur plusieurs programmes : d’abord, la formation des femmes journalistes où elles sont outillées sur les techniques de vérification des faits et de rédaction de contenus qui permettent de contrecarrer les fausses informations qui circulent sur la toile. Ensuite, nous avons sensibilisé des acteurs de la société civile, des associations et des entreprises. Nous avons aussi créé des podcasts en langue locale destinés à ceux qui ne sont pas éduqués, qui vivent dans les zones rurales et qui ont accès à WhatsApp où la désinformation circule énormément. Ces contenus sont orientés pour les sensibiliser mais aussi pour développer leur esprit critique et faire en sorte qu’ils n’aillent pas partager des fausses informations.

Yacouba Dramé : Nous avons formé 30 femmes journalistes, à raison de 20 à Bamako et 10 à N’Djamena. Pour les autres femmes qui sont issues des organisations de la société civile, nous avons voulu délocaliser un peu la formation dans d’autres régions du Mali et du Tchad. Là-bas, à chaque formation, il y avait 20 personnes. Concernant les podcasts, nous avons voulu viser un public qui n’est pas alphabétisé ou sensibilisé, donc nous avons décidé d’adapter certains articles, mais aussi de traiter des thématiques dans une langue locale. Avec La Femme en moi, nous avons produit 15 podcasts en bamanankan (bambara) et 15 podcasts en peul.

Qu’est-ce qui vous a conduit à travailler ensemble ? 

YD : En Afrique, surtout du côté francophone, il y a des collaborations occasionnelles entre collègues fact-checkers. Au cours d’un voyage en Allemagne, lors du Global Media Forum de la Deutsche Welle, j’ai fait la connaissance d’un membre de SaoCheck. Fadoul a aussi rencontré un de nos membres à Dakar. Quand l’appel à projets a été lancé, nous avons discuté entre nous pour voir si nous pouvions soumettre un projet commun à l’Organisation internationale de la francophonie. 

FHA : Quand nous avons vu l’appel à projets passer, nous nous sommes dit que puisque nous travaillons sur les mêmes questions, nous pourrions se mettre ensemble pour être un peu plus impactants et surtout partager nos expériences. Je pense que ça a été vraiment une réussite. Ça nous a permis d’apprendre des expériences de La Voix de Mopti et des outils qu’ils utilisent. 

(Crédits : La Voix de Mopti/SaoCheck)

Avez-vous rencontré des difficultés pour mettre en œuvre ce projet ? Comment les avez-vous surmontées ? 

FHA : Le fait d’avoir une coordination à distance était déjà une difficulté. On s’est habitués à se retrouver avec nos coordinateurs de projet tout le temps pour discuter. En termes d’engagement, surtout de l’équipe, il arrive que quand le coordinateur n’est pas à côté, les équipes ne soient pas au taquet. Il faut les relancer de temps en temps. Yacouba Dramé nous a aidés à surmonter cela. Quand nous avons effectué des formations en dehors de N’Djamena, c’était aussi difficile d’avoir accès à des infrastructures de qualité pour accompagner les femmes et pour mettre à leur disposition du matériel. La fracture numérique bat son plein dans ces régions. 

YD : Lors des premières formations avec les femmes journalistes fin octobre, nous avions un peu de difficultés avec les premiers sujets et brouillons d’articles proposés. Mais comme c’est une rédaction commune, nous avons mis en place un mentorat avec des éditeurs et éditrices. Cette discussion nous a permis d’améliorer les propositions des sujets et de retravailler les drafts des articles proposés au fil du temps.

Quels conseils donneriez-vous aux organisations qui voudraient participer à l’Appel à projets ? 

YD : Je conseillerais d’avoir des contacts avec d’autres organisations de vérification, que ce soit sur le continent africain, en Europe, en Amérique ou en Asie. Ces contacts informels permettent de connaître les capacités des autres membres du consortium avant de le mettre en place. Si vous partez à la recherche de partenaires au moment de l’appel à projets, vous ne connaissez pas grand-chose du partenaire, ce qui peut poser un problème sur la qualité de votre proposition. Je conseille à tous ceux qui ont l’opportunité de postuler, parce que c’est une aide précieuse pour les organisations de vérification des faits dans le monde francophone. Ça nous a beaucoup aidé en matière éditoriale et à atteindre les objectifs de nos différents plans d’action. 

FHA : Concrètement, il n’y a pas autant d’opportunités pour les organisations qui travaillent dans le domaine de la désinformation en Afrique francophone qui permettent d’étendre nos zones d’intervention et l’impact qu’on pourra apporter en termes d’accompagnement, de formation et de sensibilisation. Le financement de l’Organisation internationale de la francophonie a été vraiment un coup de boost pour pouvoir être plus impactant et pour monter en compétence. C’est aussi une opportunité d’aller au-delà de ce financement.

(Crédits photos : La Voix de Mopti/SaoCheck)

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