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Avec GuinéeCheck et SahelCheck, des jeunes s’emparent de la lutte contre la désinformation

En 2024, six projets ont remporté l’Appel à projets de jumelage des initiatives francophones de lutte contre les désordres de l’information. Retour sur le projet « Endiguer les désordres de l’information au Sahel » porté par GuinéeCheck (Guinée) et SahelCheck (Mali).

En Afrique francophone, Guinée Check et SankoréLabs (association créatrice de Sahel Check) font partie des acteurs qui se battent depuis des années pour diffuser l’éducation aux médias et à l’information (EMI), des salles de classe aux zones rurales. Avec leur projet « Endiguer les désordres de l’information au Sahel », ils proposent une approche transnationale pour contrer la manipulation de l’information, notamment à travers la création d’une rédaction hybride multimédias alliant les journalistes et vérificateurs des deux entités.

Pour en parler, ODIL a reçu Fatouma Harber, directrice exécutive de SankoréLabs, et Sally Bilaly Sow, directeur de publication de GuinéeCheck. Cet entretien croisé est le deuxième d’une série de retours d’expérience des lauréats de l’Appel à projets de jumelage des initiatives francophones de lutte contre les désordres de l’information de 2024, porté par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). 

En quoi consiste le projet ? À date, quels sont les résultats ? 

Fatouma Harber : SankoréLabs avait pour mission de former deux cohortes de jeunes de 13 à 18 ans. Nous avons travaillé avec des jeunes lycéens d’un lycée de Kalabancoro, un quartier périphérique de Bamako. Avec eux, nous avons tourné une émission de fact-checking qu’ils ont décidé d’appeler “Info ou intox”, réalisée en français et en langue nationale bamanankan. Ils ont créé un groupe WhatsApp de fact-checking où ils partagent des vidéos qui leur semblent suspectes et des applications de vérification. 

Nous avons aussi mis en place des “focus groups”, des discussions d’au moins deux heures avec la communauté sur la désinformation. Nous en avons tenu trois dans la commune rurale de Siby, et deux vont être organisés à Tombouctou. Concernant la rédaction hybride formée avec GuinéeCheck, nous travaillons ensemble avec les deux fact-checkers de Sankoré Labs. 

Sally Bilaly Sow : Nous avons formé 60 jeunes de 13 à 18 ans divisés en quatre cohortes, sur 20 jours. L’engouement a été tel que nous avons réussi à produire cinq reportages avec eux. C’étaient leurs premières sessions d’éducation aux médias et à l’information, surtout en liant théorie et pratique. Les groupes ont réalisé des tutoriels vidéo sur la vérification de l’information et une table ronde radiophonique pour revenir sur le projet et surtout partager les bonnes pratiques qu’ils ont apprises. Dans tous les cas, ce sont eux qui ont proposé le script et les questions et nous les avons accompagnés éditorialement. Nous avons aussi organisé des immersions dans les médias locaux, qui ont ensuite proposé de prendre certains jeunes en stage. Parallèlement à cela, on organisait des causeries éducatives dans les différents quartiers pour que d’autres catégories socio-professionnelles puissent être touchées. 

Qu’est-ce qui vous a conduit à travailler ensemble ? 

SBS : Avant de transiter vers le journalisme, on faisait partie de la blogosphère. On s’est dit qu’à l’aune d’une seule entité, il est très difficile voire impossible de lutter efficacement contre les désordres de l’information. Il y a aussi ce besoin d’apprendre toujours de l’autre parce qu’on a l’impression qu’on connaît tout, qu’on a les relations qu’il faut mais en réalité, plus on s’ouvre aux autres, mieux on capte de nouvelles expériences. Dans une Afrique francophone engluée dans la désinformation de façon encore très poussée, seule une mutualisation d’efforts peut nous permettre de contrecarrer les ingérences informationnelles. 

FH : On collabore depuis un certain temps, notamment dans le cadre de l’ONG Africtivistes. On avait mis en place un système où Sally pouvait partager sur son média un article qui serait difficile à mettre en ligne au Mali, où l’espace civique est très restreint. Il en sait beaucoup sur le Mali et à travers lui aussi, j’en sais beaucoup sur la Guinée. Lorsqu’il voit des sujets douteux au Mali, je suis là pour répondre à ses questions et vice versa. 

Crédits : Guinée Check / Sahel Check

Avez-vous eu des difficultés pour mettre en œuvre ce projet ? Si oui, comment les avez-vous surmontées ? 

SBS : D’une manière générale, la lutte contre la désinformation est une thématique assez sensible, donc on est amené à être ciblé, critiqué, attaqué, accusé d’être à la solde de quelqu’un. L’autre problème est que chez nous, l’éducation aux médias à l’information n’est pas intégrée dans le programme d’enseignement. Donc vous devez remplacer le professeur et expliquer ce qu’est une information, quel est le rôle d’un journaliste, qu’est-ce qu’une source, qu’est-ce qu’un réseau social etc. On a aussi été limités par le matériel qu’on avait au sein de nos organisations, donc toutes les équipes ne pouvaient pas aller sur le terrain en même temps. On craignait aussi d’amplifier les infox qu’on traitait. Mais toutes ces difficultés sont aussi des opportunités.

FH : C’est surtout l’engouement créé qui nous a vraiment posé problème. Au lycée, le directeur nous a proposé des élèves qui n’étaient pas en salle d’examen, on s’est retrouvé avec trois ou quatre personnes de plus par groupe. Certains jeunes étaient prêts à venir sans pour autant profiter des frais de transport que les autres ont. Concernant le matériel, le souci était surtout lié à l’électricité parce qu’il y a vraiment un grand délestage à Bamako. Et nous étions obligés de nous reconvertir ou bien de travailler sans électricité.

Quels conseils donneriez-vous aux organisations qui voudraient participer à l’Appel à projets ? 

SBS : Les initiatives de lutte contre la désinformation doivent absolument miser sur l’EMI couplée aux initiatives web et tech pour véritablement endiguer les désordres de l’information. De plus, il faut que l’EMI soit adaptée au contexte, en évitant de dupliquer ce qu’on fait en France aux pays africains. Ce qui nous a aidés aussi, c’est qu’on a réussi à co-construire le programme de formation avec les jeunes. Quasiment chaque cohorte avait des spécificités. Avec un programme magistral figé, on aurait échoué. 

FH : Il ne faudrait pas que nos projets s’arrêtent ici. C’est vraiment un projet intéressant, important pour nous et pour les jeunes. Je pense qu’on peut l’améliorer et continuer au-delà de cette période de travail de six mois, pourquoi pas en intégrant d’autres pays et d’autres jeunes. Nous utilisons les langues nationales, nous faisons tout pour être à leur portée, à leur écoute. Continuons à travailler ensemble et pourquoi pas aller vers d’autres horizons avec l’OIF, en dehors de ces appels.

(Crédits photos : Guinée Check/Sahel Check)

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