La désinformation ne se limite pas aux réseaux sociaux. Elle s’infiltre également dans des espaces moins régulés, échappant souvent aux initiatives de lutte traditionnelles.
Comment alors combattre ce phénomène de manière efficace ? Cet article, synthèse du podcast les angles morts de la lutte contre la désinformation, explore ces zones d’ombre et met en avant trois initiatives innovantes soutenues par l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie).
Marthe Ndiang, en charge de la vérification des faits chez Adisi Cameroun, a développé un programme de formation pour les administrateurs de groupes WhatsApp et Facebook. Soutenue par l’OIF, son initiative visait notamment à responsabiliser ces administrateurs. « Ce n’a pas été le plus facile de convier ces administrateurs-là », admet Marthe. L’accent a été mis sur les groupes Facebook et Whatsapp influents.
« L’idée était de les mettre en alerte, leur dire que dans vos groupes, c’est bien beau d’avoir de la visibilité, mais c’est encore plus intéressant d’avoir des informations crédibles vérifiées qui circulent sur vos plateformes. », ajoute-t-elle.
Marthe Ndiang, Adisi Cameroun.
Marthe insiste sur le rôle clé des administrateurs pour stopper la désinformation en validant les contenus avant leur publication.
Pour identifier les groupes et administrateurs diffusant de la désinformation, Adisi a effectué un suivi hebdomadaire des pages problématiques. Cette démarche a permis de recenser et d’aborder ces acteurs. Malgré des réticences initiales, ils ont majoritairement répondu positivement, comprenant leur rôle essentiel dans la régulation de l’information dans leurs communautés respectives.
Noël Tadegnon, journaliste et co-fondateur de TogoCheck, nous éclaire sur une collaboration avec le FGI Bénin pour créer des audiogrammes en langues locales.
Au Togo, Noël a identifié un problème majeur : les fausses informations se propagent principalement via WhatsApp, souvent sous forme de messages vocaux. Compte tenu de la prévalence de l’oralité dans la culture togolaise, du taux élevé d’analphabétisme et de la popularité des notes vocales, il est devenu impératif de combattre la désinformation par le même canal. C’est précisément ce que le projet cherche à accomplir avec son partenariat avec FGI Bénin.
Sur un autre volant du projet, Togocheck a, comme Adisi Cameroun, choisi de former des administrateurs de groupes WhatsApp -avec plus de facilité: « Quand j’aborde par exemple un administrateur de groupe, c’est avec plaisir qu’il me reçoit et il est content que Togocheck fasse partie du groupe. Et la notoriété de Togocheck a beaucoup joué donc aujourd’hui, puisque beaucoup nous reconnaissent comme étant une institution qui fait un travail sérieux au Togo. Même dans ces groupes, on nous interpelle parfois. Togocheck, est-ce que vous pouvez nous aider à vérifier telle information ? Donc, on le fait à cœur joie quoi. », explique Noël.
Pour l’année 2023, Togocheck a de grandes ambitions, notamment un nouveau projet en collaboration avec la Fondation Gondwana au Niger, initiée par Mamane, humoriste. Le partenariat va au-delà de leurs initiatives actuelles, qui comprennent des audiogrammes et des émissions radio. L’idée est d’utiliser l’humour comme un outil pour déconstruire les fausses informations. Des humoristes au Niger et au Togo se chargeront de rendre cette information plus accessible et engageante pour le public.
James Kataliko, représentant de Kijiji Chi Amani en République démocratique du Congo (RDC), présente son projet visant à instaurer des mécanismes d’alerte interactifs avec les populations locales.
Kijiji Chi Amana est un projet né en RDC durant la crise d’Ebola, qui avait exacerbé les violences et les meurtres en raison de la désinformation. James explique : « Nous avons concentré nos efforts sur les régions de Beni et Butembo, où le problème d’Ebola était le plus prévalent. Compte tenu que la communication officielle se faisait souvent en français et utilisait un jargon médical complexe, nous avons adapté notre approche en utilisant la langue locale pour faciliter la compréhension. »
Dans les espaces qui échappent largement aux actions de lutte contre la désinformation, il identifie également les groupes WhatsApp, mais aussi certaines radios politiques et des institutions religieuses : « Premièrement, les groupes WhatsApp demeurent un terrain difficile à surveiller. Deuxièmement, certaines autorités politiques utilisent des radios pour propager leur message, échappant ainsi à nos mécanismes de contrôle. »
Il pointe la complexité supplémentaire que représentent les institutions religieuses. « Les églises dans nos villages, dans nos quartiers, elles expriment ce qu’elles pensent que sont des messages venus de Dieu. Nous nous heurtons à ces prophéties ici en Afrique, et c’est ça qui nous heurtes. Non, la prophétie a dit que non, c’est elle qui sera présidente. Non, la prophétie a dit ceci. Ça, c’est parmi les espaces que nous, localement, nous pensons que sont des espaces qui ne sont pas faciles à contrôler. », conclut James.
Ces initiatives révèlent la complexité du paysage de la désinformation et l’importance de développer des approches diversifiées pour y faire face. Qu’il s’agisse de former des administrateurs, d’utiliser des canaux de communication locaux ou d’adopter des méthodes créatives comme l’humour, il apparaît que les acteurs francophones de la lutte contre la désinformation trouvent des solutions adaptées à leurs contextes respectifs et multidimensionnelles.
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