par Julia NDIBNU-MESSINA ETHE et Fleur Nadine NDJOCK-MVONDO
L’article décrit comment, en l’absence de politiques publiques d’éducation critique aux médias et à l’information dans les cursus de formation au Cameroun, certaines écoles s’engagent dans la voie de l’éducation à la désinformation. Des structures telles que l’École supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (ESSTIC), dont l’une des missions est de former les futurs journalistes et éditorialistes, ont pris la mesure du danger que représente la désinformation et intégré ce module dans la formation de leurs étudiants.
La démocratisation d’internet a facilité l’accès et la diffusion de l’information dans le monde académique. Cependant, la course effrénée au « buzz » et la recherche de la notoriété entraînent certains médias à s’écarter de l’éthique et la déontologie du métier pour plonger dans la désinformation. La désinformation ou « fake news » est un « processus aboutissant à l’intégration, par un public, d’information distordues, incomplètes ou fausses (avec des conséquences éventuelles sur certaines de ses décisions futures), ces altérations trouvant leur origine dans une démarche volontaire, de tromper » (Gelfert, 2018). En l’absence d’une politique générale ambitionnant l’intégration d’une éducation critique aux médias et à l’information (EMI) dans les cursus de formation au Cameroun, des écoles s’engagent à inscrire dans les syllabus, l’éducation à la désinformation. Certaines institutions telles l’Ecole supérieure des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication (ESSTIC), dont l’une des missions est la formation des futurs journalistes et éditorialistes, ont pris la mesure du danger que représente la désinformation et intégré ce module dans la formation des étudiants, consommateurs et producteurs de l’information.
Or, une observation fortuite des pratiques de ces étudiants en début d’année 2022, semble illustrer que même ces derniers ne sont pas à l’abri de la désinformation. Le module de formation EMI, encore embryonnaire, laisse voir une maîtrise inadéquate
des outils de recherche de l’information. L’intégration du module de recherche informationnelle pour toutes les filières est encore en processus (Ndjock, 2017 et 2021) ainsi que les méthodes d’accès aux pratiques informationnelles souvent culturelles (Newel et Simon, 1972), (Brunet, 2013). Ces méthodes qui reposent essentiellement sur la détection et la résolution d’un problème à partir d’un questionnement basique (Ndibnu-Messina, 2017) entraîne une diffusion assez risquée de l’information par ces derniers, surtout si cette information est destinée à leurs pairs étudiants sur les journaux en ligne.
Comment les étudiants en journalisme participent-ils à la sensibilisation aux dangers de la désinformation des étudiants d’autres filières et d’autres écoles, en occurrence ceux de l’École Normale Supérieure de Yaoundé (ENS) où la formation à l’EMI est inexistante et la consommation de l’information pourtant élevée ?
Cet article voudrait explorer les unités d’enseignement à l’université se rapportant à la recherche d’information afin de déterminer les types de collaboration aboutissant à une formation à la désinformation. Cette recherche qualitative par essence, se servira également de la quantification de ces données pour fixer une typologie de collaboration participant à lutter contre la désinformation.
L’initiation à la recherche documentaire intervient à la fin du premier cycle (3e année) et en première année dans les 2 autres cycles. “La recherche documentaire vise à identifier et localiser des ressources informationnelles déjà traitées, soit par des individus soit par des machines. [Elle] s’accompagne du qualificatif « informatisée » lorsque cette activité implique l’interaction entre deux systèmes, l’un humain (i.e., l’usager, l’utilisateur) et l’autre informatique (i.e., une base de données) via un logiciel et une interface ». (Dinet et Passerault, 2004).
A cet effet, l’initiation se focalise sur les principes à suivre pour conduire une recherche documentaire. Il s’agit de la préparation, la recherche et la vérification de l’information. C’est pourquoi, les exercices de travaux pratiques se focalisent sur l’usage des QQCOP (qui, quoi/quel, comment, où et pourquoi). Toutefois, cela n’empêche pas de tomber sur des informations erronées. Ainsi, l’étape de la vérification combine les travaux de l’étudiant et ceux des travaux pratiques.
A partir d’un sujet donné en sciences sociales, l’étudiant devrait être capable de poser et de répondre aux questions subséquentes :
Lorsque les étudiants inscrits en cycle « recherche » posent ces questions, ils se rapprochent des théories de l’EMI qui permettent de déterminer les moyens d’identification de la « désinformation ». Ils déterminent librement si l’information est fiable et véridique avant de l’intégrer dans leur démarche scientifique.
L’éducation critique aux médias et à l’information est une discipline complémentaire en voie d’intégration dans les curricula de l’ESSTIC. Sachant les enjeux de l’EMI pour les étudiants journalistes, ce cours complémentaire de la « rhétorique », enseigné aux étudiants de 3e année de la filière, a pour objectif de les initier aux enjeux, contraintes et normes de la bonne communication. Cependant, il ne suffit pas de rédiger du contenu, il faut adopter une posture critique face aux écrits et aux publications.
Les approches d’enseignement se résument en 5 étapes :
Ces étapes relèvent l’étroite limite entre la recherche documentaire enseignée dans les « Écoles Normales » et les facultés des lettres et sciences humaines et l’EMI enseignée de manière complémentaire aux étudiants de l’ESSTIC. Il s’agit pour tous ces étudiants d’identifier une information à partir d’un protocole, vérifier l’authenticité et l’impact de l’information et collaborer entre pairs pour confronter l’information collectée. La formation complémentaire adressée aux futurs journalistes serait-elle importante pour la formation des pairs des autres universités et établissements dans l’identification de la « bonne » information ?
La désinformation, loin d’être une notion nouvelle, revient sur le devant de scène avec la démocratisation des technologies de l’information. L’ère du numérique a facilité l’accès à l’information mais aussi une prolifération d’information appelée aussi « infobésité », « pollution informationnelle » ou « info-pollution ». « Elle est bien loin, l’époque où les journalistes étaient qualifiés de précurseurs ou déclencheurs de processus dans le pays » regrettent les auteurs Boyomo-Assala et Nga Ndongo (1998) qui constatent que certains journalistes vendent l’éthique et la déontologie du métier au profit de la « célébrité ».
Les consommateurs d’informations devraient maîtriser un certain nombre de savoirs et de savoir-faire pour accéder à l’information et l’utiliser de manière rationnelle : ce sont les compétences informationnelles ou « information literacy ». D’après certaines études, les chercheurs ont démontré que les pratiques informationnelles se composent de quatre phases récurrentes que sont la veille, la recherche, le traitement et la diffusion de l’information. Elles sont culturelles dans la mesure où elles s’acquièrent de deux manières : par initiation à la recherche documentaire ou par tâtonnements susceptibles de s’enrichir par l’échange et avec le temps » (Brunet, 2013 ; Ndjock, 2021).
Par l’éducation aux médias et à l’information, certaines capacités sont développées telles : le sens de l’observation, le discernement, la curiosité, la créativité, la confiance en soi, l’esprit critique. Apo Yanon (2019) d’ajouter : « La tolérance, le respect et l’amour de l’autre en sont valorisés ».
Pour conduire la partie qualitative de cette étude, la théorie de l’analyse des contenus de Bardin (2013) permet une étude des corpus. Le corpus reposera sur les journaux en ligne ayant diffusé une désinformation. Le dépouillement semi-manuel permet un cadrage et un croisement analytique des résultats de la recherche.
Les deux (2) instruments utilisés que sont la grille d’observation des comportements informationnels des étudiants et élèves-professeurs ainsi que l’entretien de groupe permettent d’établir un parallélisme entre les deux (2) groupes en présence. Les deux (2) groupes identifiés dans cette recherche sont d’une part, les élèves-professeurs des écoles normales de Yaoundé, Bertoua et l’ENSET1 de Douala sans omettre les facultés des lettres et sciences humaines des universités de Douala et de Yaoundé et, d’autre part, les futurs journalistes de l’ESSTIC. Le choix de ces sondés est aléatoire même si une certaine convenance a orienté le choix des établissements. Après une annonce en ligne dans les différents groupes d’étudiants de ces établissements, 98 ont accepté de répondre aux questions comme indiqué dans le tableau suivant :
Dans le cadre de notre étude, les étudiants en journalisme sont représentés en majorité ainsi que ceux des écoles normales. Les facultés closent les pourcentages obtenus. Les deux (2) derniers groupes fonctionnent de manière complémentaire dans la collaboration car ils se servent des connaissances additives en termes de recherche des informations valides et authentiques.
Les résultats croisés avec l’analyse des revues du corpus sont présentés sous forme de tableaux et diagrammes. Ils exposent tant la genèse scientifique des étudiants que l’analyse des fakes news identifiés par ces derniers.
Le cours sur la recherche documentaire est essentiel dans les écoles normales et les facultés contrairement à l’ESSTIC où, seules certaines filières en bénéficient. C’est pour cette raison que plus de la moitié des répondants du secteur affirment avoir reçu un cours de recherche documentaire en 3e année ou en 4e année. Certains étudiants en journalisme, dans la minorité, affirment avoir reçu des cours de recherche documentaire sans toutefois préciser la période ni l’établissement.
Presque tous les élèves journalistes affirment avoir reçu un cours d’EMI. 3 d’entre eux rejettent cette affirmation. Les raisons émises à l’oral reposent sur l’aspect facultatif de ce cours complémentaire. La plupart d’entre eux reçoivent ce cours depuis leur première année en journalisme.
En débutant la recherche de la bonne information dès le premier cycle, les étudiants semblent outillés à affronter les formes de diffusion de la désinformation aussi bien sur les réseaux sociaux que sur les journaux en ligne. Plusieurs médias sont utilisés pour accéder à l’information même si la priorité est accordée à Internet.
La question introductive sur l’identification d’une désinformation remporte un suffrage majoritaire comme le tableau ci-après l’illustre.
La recherche de l’infox, de l’intox, de la rumeur ou de la désinformation en ligne est tributaire d’une actualisation des informations sur tous ces médias. Il est difficile qu’une information démentie soit conservée pendant de longs mois. Ceux retenus dans cet article marquent grandement la société mais au-delà, symbolisent un mal-être de la population qui la véhicule, tout comme une méconnaissance des modes de vérification de ces informations.
Après dépouillement, les journaux initialement identifiés ne figurent pas majoritairement parmi ceux ayant publié les dernières désinformations à la période de notre étude.
Nous remarquons que chaque grand évènement produit une certaine quantité de désinformations pour combler des vides d’informations ou alimenter celles qui circulent. Par exemple, l’annonce de la mort du président Paul Biya alors qu’il y avait un vide médiatique autour de sa longue absence de la scène publique ;
Les conflits du Nord-Ouest/Sud-Ouest (NOSO) du Cameroun ou encore la lutte contre la secte islamique Boko-Haram dans l’Extrême-Nord du Cameroun ont également généré leur lot d’infox relayés dans les journaux. Parmi les dernières, on peut citer la mort présumée des dirigeants sécessionnistes et des membres de la secte. Informations, régulièrement confirmées par l’armée, mais démentie par la population et les groupes concernés (Sécessionnistes et membres de la secte).
Après le recoupage des déclarations des étudiants, il apparait que les faits sociaux sont majoritaires en termes d’infox. Comme il peut en être déduit, tous les journaux peuvent diffuser ces informations. Nul n’est à l’abri d’une pareille diffusion. C’est au lecteur de s’armer d’une méthode de découverte de l’infox.
Les méthodes de recoupement de l’information variaient en fonction des répondants. Ceux des écoles normales opéraient en se référant aux cours reçus en méthodologie de la recherche et les autres selon le cours d’EMI.
Après avoir éliminé les réponses des étudiants qui déclaraient n’avoir jamais identifié une désinformation ou qui déclarent ne pas savoir s’ils en avaient repéré une, nous avons quantifié les déclarations des étudiants. Il en ressort que dans les écoles normales et les facultés, ils vérifient d’abord la source de l’information à partir des
moteurs de recherche comme Google et d’autres médias. Ils interrogent ensuite la source de l’information. Les autres indices sont complémentaires : croisement de l’information, contradiction dans l’information et communiqués prouvant l’inverse.
A l’ESSTIC, les étudiants démarrent la vérification de l’information par une identification de la source de celle-ci. Ensuite ils appliquent d’autres méthodes qui reposent sur l’éthique et la déontologie du métier : la confrontation avec d’autres médias, le recoupement de l’information par la recherche de l’auteur ou le site où a eu lieu l’évènement décrit, l’authentification des documents, etc.
Bien que certains reconnaissent les dangers des informations non vérifiées, près de la moitié transfère l’information telle que reçue tandis que 51% le font après vérification. Toutefois, ils admettent changer d’attitude lorsqu’il s’agit des travaux scientifiques. Aussi, préfèrent-ils travailler en collaboration avec les pairs.
La formation à la désinformation nécessite une collaboration effective entre les étudiants des facultés aussi bien sur les réseaux sociaux que sur des plateformes d’apprentissage. La mise en place de ce dispositif de collaboration permettra une sensibilisation par les élèves-journalistes. Ces derniers sensibiliseront leurs camarades sur les méthodes de déconstruction des désinformations. Cela permettra de développer et de cultiver un esprit critique dans la recherche informationnelle. Les autres étudiants utiliseront leur capacité de recherche informationnelle pour identifier la bonne et valide information. Les 5 approches utilisées en EMI seront associées au questionnement initial de la recherche documentaire pour renforcer l’esprit critique des chercheurs d’information sur les journaux en ligne.
NDIBNU-MESSINA ETHE Julia « Approche hybride et supervision des mémoires de DiPES II et DiPET II : essai d’évaluation des activités de tutorat menant aux productions des écrits par les élèves-professeurs », Distances, médiations et savoirs (DMS), 2017, n°20, http://journals.openedition.org/dms/2060;DOI : 10.4000/dms.2060.
NDJOCK- MVONDO Fleur Nadine, Les enjeux d’une éducation aux médias pour une efficacité académique, Sciences et développement, la revue universitaire des sciences et des savoirs (Scidev), juin 2021 – pp. 159 – 183.