Entretien

Perspectives croisées sur l’éducation aux médias et à l’information

Un entretien enregistré le 29 août 2023, publié le lundi 25 septembre 2023

Retrouvez ce podcast sur

Alors que la rentrée scolaire a déjà eu lieu dans de nombreux pays, nous verrons comment l’éducation aux médias et l’information peut être insérée dans un programme de cours, notamment avec l’exemple de la Finlande. Et puis, en amont de la semaine mondiale de l’EMI, qui se tiendra le mois prochain, fin octobre, nous aurons également l’occasion de parler d’autres initiatives d’EMI au Québec et en République démocratique du Congo avec nos invités.

Invités :

Liens :

—–

[Musique] Vous écoutez Odil le podcast, une production de la plateforme francophone des initiatives de lutte contre la désinformation. Un podcast animé par Guillaume Kuster et Nelly Pailleux. Odil le podcast, c’est une série d’entretiens avec celles et ceux qui luttent contre la désinformation dans l’espace francophone. [Musique]

Guillaume Kuster : Bonjour à toutes et bonjour à tous, bienvenue dans ce nouvel épisode d’Odil, le podcast. Odil, comme vous le savez, c’est la plateforme francophone des initiatives de lutte contre la désinformation. Elle accueille et met en valeur celles et ceux qui luttent contre les désordres de l’information dans les 88 pays de la francophonie. Tout au long de l’année, nous accueillerons des invités de différentes régions du monde qui luttent contre la désinformation à leur manière. N’hésitez pas à vous abonner sur vos plateformes de podcast préférées pour ne pas manquer la sortie de notre épisode mensuel. Et comme pour chaque épisode mensuel, j’ai le plaisir de co-animer cet épisode avec Nelly. Bonjour Nelly.

Nelly Pailleux : Bonjour Guillaume, bonjour à tous.

GK : Alors, dans cet épisode, nous allons parler éducation aux médias et à l’information. Alors que la rentrée a déjà eu lieu dans de nombreux pays, nous verrons comment l’éducation aux médias et l’information peut être insérée dans un programme scolaire, notamment avec l’exemple de la Finlande. Et puis, en amont de la semaine mondiale de l’EMI, qui se tiendra le mois prochain, fin octobre, nous aurons également l’occasion de parler d’autres initiatives d’EMI au Québec et en République démocratique du Congo avec nos invités Nelly.

NP : Oui, trois invités aujourd’hui autour de la table pour nous parler éducation aux médias et à l’information.

Kari Kivinen, vous nous venez de Finlande, vous êtes responsable du développement de l’éducation aux médias à Faktabaari, où vous avez été notamment maître d’œuvre du Digital Information Literacy Guide. Alors vous êtes expert en projet éducatif hors les murs. Vous avez travaillé en écoles internationales en Finlande, au Luxembourg et en Belgique, et vous êtes particulièrement intéressé à la diffusion de la culture des médias et de l’information numérique au sein des écoles. On aura l’occasion avec vous de parler de l’EMI en Finlande, un pays qui est considéré comme exemplaire en la matière.

À vos côtés, Line Pagé, vous êtes présidente du Centre québécois d’éducation aux médias et à l’information, le CQEMI, et journaliste depuis près de 40 ans. Vous avez travaillé pendant plus de 35 ans à Radio-Canada, tant à la radio qu’à la télévision comme reporter, puis comme rédactrice en chef du service des nouvelles radios. Le CQEMI dont vous êtes la présidente, est né d’un succès, on peut le dire, celui du programme « 30 secondes avant d’y croire », lancé en 2018 par la Fédération Professionnelle des Journalistes du Québec, la FPQJ, en partenariat avec l’agence Science-Presse. Depuis 4 ans, le CQEMI est intervenu dans plus de 500 établissements au Québec. Vous nous en parlerez davantage.

Enfin à vos côtés, Sammy Mupfuni, vous êtes directeur général de CongoCheck depuis 2018, mais aussi journaliste indépendant et vérificateur des faits en République Démocratique du Congo. Vous avez parlé de l’initiative CongoCheck dans la première saison d’« Odil le podcast », où vous parlez de votre rédaction de fact-checking. Aujourd’hui nous allons pouvoir échanger autour de CongoCheck Academy, le centre de développement des médias mis en œuvre par la rédaction, qui initie des formations en vérification des faits, à destination des membres de la société civile, des étudiants, des institutions non gouvernementales, afin d’ancrer les principes de vérification des faits dans le quotidien des communautés. Tout un programme ! J’ai envie de commencer avec vous, Sammy Mupfuni. Est-ce que vous pouvez nous décrire davantage les missions que se donne CongoCheck Academy ?

Sammy Mupfuni : Merci beaucoup, merci beaucoup Nelly. Bonjour à tout le monde. En fait, CongoCheck Academy, c’est un projet qu’on a lancé en 2020, deux ans après le lancement de CongoCheck. CongoCheck qui avait pour objectif, qui est dans le fact-checking en fait, la lutte contre la désinformation, les fausses nouvelles en général, à travers le fact-checking. Donc, justement, comme je le disais, deux ans après, on a décidé de mettre en place un projet d’éducation aux médias, CongoCheck Academy, parce qu’on a constaté que le fact-checking n’était pas suffisant, le fait de détruire ou de combattre les fausses nouvelles, après qu’elles soient déjà partagées, et on sait, on est tous conscients de la vitesse avec laquelle les fausses nouvelles circulent. Donc, on a décidé, on a jugé bon, de mettre en place un projet d’éducation aux médias appelé CongoCheck Academy, qui se charge de partager, de disséminer, de sensibiliser les membres de la communauté. Comme vous l’avez dit dans la présentation, aux membres de la communauté, que ce soit des étudiants, des journalistes, des organisations indépendantes, leur partager des techniques de vérification et aussi leur partager les astuces à prendre, les astuces ou les attitudes à adopter en ligne face au contenu informationnel. Donc, c’est en fait ça.

On a travaillé avec beaucoup, jusque là on a fait des formations avec des étudiants, des journalistes, des membres de la société civile, et voilà, on continue et on veut intensifier les activités en ligne et hors ligne. Donc, des sensibilisations offline, donc on va sur le terrain, on sensibilise des membres de la communauté hors ligne. Donc, c’est ce qu’on a décidé de faire.

C’est pourquoi, il y a un mois, on a décidé de mettre en place une nouvelle équipe, d’installer une nouvelle équipe au sein de CongoCheck Academy, qui vont se charger de toutes ces activités très importantes.

GK : Kari Kivinen, l’éducation aux médias, pour quelqu’un qui a passé une bonne partie de sa carrière dans le corps enseignant, qu’est-ce que ça veut dire pour vous et quelles actions vous vous êtes dit qu’il était nécessaire de mettre en place en Finlande, alors que par ailleurs, la Finlande jouit d’une réputation assez extraordinaire. Quand on regarde les chiffres de OSCE, on voit que la jeunesse finlandaise est celle qui est la plus résiliente à la désinformation. Comment est-ce qu’on se dit qu’il y a un besoin aussi, même dans un pays comme la Finlande ?

Kari Kivinen : En Finlande, l’éducation aux médias est considérée extrêmement importante. Selon nous, les enfants qui entrent dans l’école maternelle, ils ont vu un grand nombre de films, ils ont regardé les publicités, ils ont regardé la télé, toutes les sortes de jeux avec leurs tablettes ou avec leurs parents. Et c’est pour ça qu’on doit travailler avec eux depuis leur âge bas pour développer leur sens de consommation sélective et critique et encourager d’utiliser les technologies numériques aussi pour leur création. Tous les systèmes scolaires sont passés pour ça.

L’éducation aux médias est bien intégrée dans le curricula. Tous les profs ont l’obligation de travailler avec ça et voilà, on est assez résilient.

NP : Line, le CQEMI est également une initiative qui est née de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec en partenariat avec une rédaction. Est-ce que vous pouvez nous décrire la façon dont les journalistes arrivent à transmettre cette éducation aux médias?

Line Pagé : Oui, vraiment, le CQEMI, c’est vraiment une initiative de journalistes. Écoutez, c’est en 2018, vous vous souvenez, on était durant la présidence du fameux Donald Trump et puis tout le phénomène des fake-news vraiment émergeait. On était très inquiet de cette réalité un peu parallèle qui s’installait. Alors, on s’était dit, un groupe de journalistes, qu’est-ce qu’on pourrait faire ? Et on s’était dit, il faut aller rejoindre les jeunes.

Alors, on a mis sur pied, on a créé un atelier, en quelque sorte, un petit atelier d’autodéfense contre les fausses nouvelles et on a offert cet atelier dans les écoles secondaires du Québec. Les écoles secondaires ici s’adressent aux jeunes qui ont entre 14 et 17 ans. On s’est adressé à cette clientèle-là et on a offert aux écoles qu’un journaliste professionnel aille présenter cet atelier qui dure à peu près une heure. Et on a vraiment senti qu’on répondait à un besoin parce que dès le départ, on a été débordé par les demandes des enseignants. Nous avons un fonctionnement assez simple, nous avons une plateforme web sur laquelle les enseignants s’inscrivent et on fait un maillage avec un journaliste qui est membre de la fédération professionnelle et ça dans toutes les régions du Québec.

Alors bon an mal an, depuis 2018, on offre à peu près 300 formations dans les écoles par année et on a l’impression qu’on pourrait faire beaucoup plus, mais c’est sûr que c’est toute une organisation. On a environ 70 journalistes bénévoles qui acceptent d’aller dans les écoles offrir cet atelier et un atelier qu’on a nommé « 30 secondes avant d’y croire » parce qu’on voulait que les jeunes ressortent de l’atelier avec cette idée qu’il ne faut pas partager tout de suite une information, qu’il faut prendre au moins un temps minimum, sinon plus, pour vérifier la source des informations. C’est vraiment le message qu’on veut passer, identifier les sources et la crédibilité des sources d’informations.

NP : Sammy, de votre côté, vous proposez également des ateliers. J’imagine que les priorités sont différentes dans le contexte de la République Démocratique du Congo. Quelles sont les priorités pour vous selon le public qui est visé ?

SM : Le contexte est différent, oui, mais on vise tout le monde. C’est pour ça qu’on choisit des gens influents en ligne par exemple, des influenceurs, des responsables des groupes WhatsApp, parce que c’est aussi un moyen de transmission de l’information très courant ici. C’est à eux qu’on partage en premier les formations en EMI, en éducation aux médias et à leur tour d’aller partager ces mêmes techniques ou ces mêmes astuces au même des leurs communautés.

On a décidé aussi de faire passer des émissions d’éducation aux médias à la radio et surtout, très important, on a décidé de commencer à mettre en place un réseau de journalistes qui nous représenteront au sein de ces médias ou de ces radios-là et qui auront une émission d’éducation aux médias dans leur programme. On a trouvé ça important parce que la radio reste le média le plus populaire et c’est très important de passer par là aussi.

GK : J’aimerais qu’on passe un peu de temps sur la notion de l’âge à partir duquel il fait sens de commencer à parler aux enfants d’éducation aux médias. Je crois qu’en Finlande, les enfants ont leur premier smartphone à 7 ans, que le premier sujet de conversation entre parents c’est combien de temps d’écran est-ce que tu donnes à ton enfant ? Comment est-ce qu’on résout ce problème dans un pays où les enfants ont accès très tôt au contenu qui peut être dommageable pour eux ? Kari Kivinen.

KK : On a publié l’année passée le nouveau plan d’enseignement pour le maternel et l’éducation aux médias est déjà intégrée dedans. Ensemble avec le prof, sur la guidance du prof, l’enfant apprend à utiliser les différents outils digitaux dans la façon structurée. On continue ça toute la primaire et on continue ça dans la secondaire et dans le lycée. Selon nous, si on commence seulement à 7 ans, c’est un peu trop tard. On doit commencer déjà plus tôt.

NP : De votre côté, Line, quelles sont les techniques que vous mettez en place au CQEMI pour que les populations soient réceptives à vos interventions d’éducation aux médias et à l’information ?

LP : Nous, ce que nous avons développé, c’est dans le cas de notre atelier, c’est sûr que les journalistes qui vont donner ces conférences ou ces ateliers dans les écoles sont équipés d’un PowerPoint où on donne des exemples. On le fait beaucoup sous forme de quiz. On présente parfois une information qui a l’air totalement farfelue, mais elle est vraie. Et comment on voit qu’elle est vraie ? C’est la source de cette information. C’est le fait que plusieurs médias en ont parlé, qu’elle est datée, etc. Alors, on s’aperçoit qu’en présentant des exemples de fausses, de vraies information, de jouer un peu avec le public, c’est très efficace. Et aussi, c’est de laisser du matériel après la visite aux enseignants où ils peuvent revenir sur les contenus avec les jeunes. Ça, c’est assez efficace.

Et ce qui est intéressant, c’est que cette même présentation qu’on a offerte aux jeunes, on a aussi fait des essais dans les bibliothèques publiques envers des publics plus âgés et tout dépendant de la façon dont le journaliste s’adressait aux gens. Et ça marchait aussi bien. Et beaucoup de personnes disaient « Ah, cette fameuse information, moi aussi je me suis fait prendre, j’y ai cru quand j’avais vu ça, qu’il y avait eu une telle inondation qui avait fait des ravages épouvantables, mais ce n’était pas vrai, c’était des images qui étaient prises d’une autre catastrophe. Je me suis laissé prendre parce que, vous savez, il y a déjà eu un sondage qui dit qu’à peu près 9 personnes sur 10 se sont laissées berner par une fausse information. Il ne faut pas avoir de… il faut être très modeste à ce niveau-là. Tout le monde peut se faire jouer des tours. Alors je pense que les bons moyens c’est de présenter des exemples et de donner des trucs, des façons efficaces de vérifier une information, de montrer comment on peut avec quelques clics vérifier une image, vérifier si l’image est utilisée dans son bon contexte. Vraiment des trucs que les journalistes utilisent à tous les jours, comment on vérifie que ce qu’on nous dit est vrai. Alors c’est de cette façon-là qu’on procède.

Et moi je veux revenir sur l’âge. C’est très intéressant ce que nous disait l’interlocuteur précédent sur la Finlande, c’est que dans les programmes scolaires, c’est le cas au Québec, je sais que ça existe aussi en France, l’éducation aux médias fait partie des programmes scolaires, le développement de la pensée critique, mais souvent c’est inscrit dans les programmes scolaires, mais il n’y a pas de… c’est fait de façon très très irrégulière. Il y a des professeurs qui sont intéressés par la matière, d’autres ne le sont pas. Alors ce n’est pas structuré, ce n’est pas développé comme ça semble être le cas en Finlande, mais je crois qu’il faudrait en venir à ce que ce soit une matière à l’école plus développée, parce que ça englobe toutes les autres matières, ça touche autant les cours de sciences, de géographie, d’histoire, l’éducation aux médias et l’information, mais c’est vraiment une matière transversale.

GK : Alors on l’entend, il y a des scénarios de diffusion de l’information et donc aussi de la désinformation, des opérations d’influence étrangère, qui est différente selon le contexte. Sammy, vous nous parlez de l’importance de la radio, en République démocratique du Congo également, de la messagerie privée comme WhatsApp, et des utilisateurs de ces supports-là.

On a beaucoup parlé d’enfance, moi j’ai l’impression que ça c’est quelque chose qui est vrai pour l’ensemble des pays concernés, c’est la question de la génération perdue. Est-ce que vous pensez qu’il y a une génération, celle qui avait déjà la quarantaine, la cinquantaine, au moment où l’internet est arrivé et qui s’est « réinformée », qui s’est faite manipuler par la désinformation, et qui est ancrée dans ses convictions, que cette génération-là, on peut encore la sensibiliser à l’éducation aux médias ou est-ce qu’il va falloir attendre que la suivante les remplace?

LP : Je crois qu’il y a du chemin qui a été parcouru, je crois que les gens, vous décrivez la génération de 50, 60, 70 ans, qui est beaucoup plus proche de la mienne, mais je crois qu’en 2016, 2017, 2018, il y a beaucoup de gens qui se faisaient prendre par des fausses informations parce que ce sont des gens qui sont habitués au pouvoir de l’éclat. Si il y a une page web qui est bien formatée, c’est bien écrit, c’est bien organisé, on y accorde une certaine crédibilité, mais je pense qu’avec tout ce qui s’est dit, toute cette lutte aux fake news, les gens sont beaucoup plus méfiants qu’avant. Ils savent qu’il peut y avoir des fraudes, ils savent, il y a eu aussi toutes ces histoires d’intervention de puissances étrangères, la Russie, la Chine dans les élections américaines et canadiennes. Il y a une vigilance qui est plus grande qu’avant.

GK : Sammy, en ce qui vous concerne, en République démocratique du Congo, est-ce que vous pensez que cette génération plus ancienne est perdue ou qu’il y a de l’espoir encore ?

SM : Oui, je crois qu’on a de l’espoir justement parce que pour nous, par exemple, ces personnes de cette génération-là, elles restent influentes dans la transmission des informations et donc on ne croit pas que ce soit une cible à minimiser. Donc on valorise cette cible aussi des personnes âgées parce qu’elles ont un grand rôle à jouer dans la transmission de l’information. Donc, ce sont dans des villages, elles sont considérées comme des gens qui ont à dire, qui ont leurs mots à dire, qui dirigent d’autres personnes et sensibiliser ces gens aux autres personnes, on a tout à gagner. On a tout à gagner parce qu’ils ont beaucoup de gens derrière eux et donc c’est vraiment une cible à privilégier.

NP : Kari, est-ce que vous partagez également cette opinion, le fait qu’il faut également sensibiliser cette génération de personnes au-delà de 60 ans ou est-ce que vous estimez que c’est une génération perdue qui est sourde discours d’EMI ?

KK : Je pense qu’on est tous perdus. Si on commence avec le jeune et le mythe que les jeunes aujourd’hui sont natifs numériques, la grande majorité de jeunes savent très bien comment utiliser l’appareil mobile et les applications diverses, mais lorsqu’on leur demande d’évaluer la fiabilité de l’information trouvée en ligne, la recherche montre qu’ils sont assez perdus. Environ 33% des jeunes sont complètement perdus. Selon le PISA, 50% de jeunes ne pouvaient pas faire la distinction entre l’opinion et le fait. Quand on parle de la génération un peu plus âgée, on est tous devant une tâche de leur apprendre nouvelle chose presque chaque année. Dernièrement, le ChatGPT, l’intelligence artificielle a créé de nouveaux défis et on est tous devant de nouvelles choses.

Comme je disais au début, je pense que le groupe peut-être le plus vulnérable, c’est le pensionné, parce qu’ils sont habitués de lire l’information faite par les journalistes qui suivent l’éthique du journalisme. Et maintenant, l’Internet est plein d’informations qui peuvent être n’importe quoi. Ils sont vraiment les cibles de toutes les types de l’escroquerie numérique.

Il y a différentes façons d’approcher. Par exemple, à Faktabaari, on travaille beaucoup avec les bibliothèques, les bibliothécaires, on travaille avec l’institution de l’enseignement adulte, on organise plein de choses aussi pour les personnes plus âgées. Le problème est que les personnes qui sont les plus vulnérables ne viendront pas pour apprendre leurs choses.

GK : Oui, ils s’excluent d’eux-mêmes parce qu’ils ne vous font pas confiance.

KK : Oui. En Europe, nous avons des projets digitales pour tous les États membres, 80% de la population a des compétences digitales de base, mais on est encore loin de ça. On a beaucoup de travail à faire.

GK : On entend que vos arguments se font écho. Line vous le disiez et Kari vous le dites à l’instant, on a cette génération qui a été habituée à avoir du contenu qui est passé par les filtres et qu’une conclusion logique c’est de se dire que si c’est écrit quelque part, c’est que c’est vrai. Si c’est dans le journal, c’est que c’est vrai. Si c’est sur Internet, c’est que c’est vrai. Alors que, ô combien, on sait que ce n’est pas forcément le cas. On fait le même constat. Quand on commence à parler de solutions, Kari vous parlait de rencontres régulières avec des groupes de personnes. Quelles sont, à votre avis, les techniques et les contenus les plus efficaces pour s’assurer qu’une population soit en mesure de comprendre une information ? Quel est le bagage nécessaire pour comprendre l’information et y faire confiance ?

KK : Selon la recherche, la méthode la plus efficace s’appelle « pre-bunking ». Je ne sais pas ce que c’est en français.

GK : La vérification des faits a priori, oui.

KK : On informe le public, par exemple, que dans la prochaine semaine, vous entendrez peut-être des nouvelles concernant l’attaque de Russie à un certain pays. Soyez vigilants, cette information peut être biaisée. Et quand il y a l’information erronée ou la désinformation qui va être publiée, les gens sont déjà prêts à être un peu plus prudents.

À Faktabaari, on a développé trois questions clés qui sont vraiment essentielles. Quand il y a le contenu qu’on ne sait pas si c’est vrai ou pas, on doit poser trois questions :

  • Est-ce qu’on trouve qui est l’auteur, qui est la source ? Parce que parfois, on ne trouve pas ça et on doit éviter d’aller plus loin.
  • Deuxième question, quel est le type de preuves qu’il présente ? Est-ce qu’il y a une opinion ? Est-ce qu’il y a un fait ? Est-ce qu’il y a une publication qui a des commentaires de recherche ?
  • Et la troisième question, à vérifier dans une autre source. Il y a les différents moteurs où on peut faire la recherche et on ne doit pas cliquer ou liker ou partager ou commenter quelque chose qu’on n’est pas sûr que c’est vrai.


Ces trois questions, on a trouvé que ce sont les trois essentielles. Et c’est facile à se mémoriser.

NP : J’ai une question pour vous trois, en réalité, vous allez pouvoir répondre à tour de rôle. Vous êtes tous les trois dans des contextes assez différents, dans des pays différents. Je le rappelle, au Québec, en République démocratique du Congo et en Finlande. Ce sont trois pays qui, malheureusement, n’échappent pas en matière politique aux tentatives d’ingérence étrangère. D’autres grandes puissances dans le monde qui, voilà, tentent d’avoir une influence sur l’écosystème informationnel dans lequel les habitants évoluent. Est-ce que vous pensez que l’EMI peut immuniser les citoyens d’un pays contre ces tentatives d’ingérence étrangère, en tout cas les aider à les repérer et à s’en prémunir ?

LP : Oh, moi, je crois qu’effectivement que dans des contextes électoraux, lorsqu’il y a des campagnes avant les élections, je crois qu’il faut vraiment faire des campagnes pour dire aux gens « soyez vigilants, méfiez-vous ». Notre collègue nous donnait certaines questions à se poser, mais méfiez-vous. Quand il y a des informations qui suscitent chez vous des grandes émotions, bien souvent, il s’agit de fausses informations parce que les fake news, c’est leur but, c’est leur but de choquer, de créer une grosse émotion, de susciter de mauvais sentiments comme le racisme, le sexisme, etc. Alors, je pense qu’effectivement, il faut se méfier. D’ailleurs, on a vu, je le citais tantôt, il y a eu des ingérences étrangères dans des élections au Canada, aux États-Unis. Alors, je pense que l’EMI a vraiment sa place dans un contexte politique.

GK : Sammy, vu depuis la République démocratique du Congo, on sait que les influences étrangères sont une réalité chez vous, peut-être un peu plus qu’ailleurs. Est-ce que l’EMI, à votre avis, a un rôle à jouer en période électorale ?

SM : Oui, l’EMI a un rôle à jouer, un rôle très important parce qu’on le sait tous, le bras de fer entre l’Occident, si je puis le dire ainsi, l’Occident et la Russie, ont un impact en Afrique, que ce soit dans des pays de l’Afrique de l’Ouest ou précisément en RDC. On n’échappe pas, donc il y a forcément des influences, des ingérences étrangères. On a même, ensemble avec des collègues fact-checkers africains, il n’y a pas longtemps, on a identifié un réseau de médias qui étaient sous influence russe. Juste pour dire, il y avait l’un de ces médias qui était en RDC, juste pour dire que la RDC n’est pas à l’abri, la RDC n’échappe pas à cette réalité-là.

L’éducation aux médias a un rôle très important à jouer pendant cette période, surtout cette période électorale ici en RDC. Donc avec des organisations, des développements des médias, on essaie de voir comment mettre en place de programmes pour intensifier de sensibilisation de l’éducation aux médias en faveur de différentes couches de la population, afin qu’elles soient immunisées, qu’elles soient préparées à faire face à ce genre de situation. Comment gérer tout le contenu, toute l’abondance des contenus informationnels en ligne ?

GK : Alors qu’arrive, vous parliez tout à l’heure du pre-bunking, qui pourrait peut-être se traduire en français par « la vérification des faits a priori ». J’imagine que la logique derrière, c’est de profiter de cet aspect psychologique des humains, que lorsqu’on entend parler de quelque chose de nouveau, c’est la première fois qu’on en entend parler qui marque les esprits et qui va fonder la confiance qu’on va accorder à cette information. La Finlande va aborder une période électorale en 2024 avec deux élections, l’élection présidentielle suivie des élections européennes. Est-ce que dans ce cadre-là, l’éducation aux médias doit accélérer aussi votre point de vue dans votre pays ?

KK : Absolument, oui. Je veux répondre à votre question initiale tout d’abord. Je suis toujours optimiste qu’on arrive à faire quelque chose via l’éducation aux médias. Mais on a besoin aussi de recherche, parce qu’on a besoin de l’information. Quelles sont les méthodes les plus efficaces possibles pour faire le travail contre la désinformation ? On a besoin de régulation. Actuellement, n’importe quoi peut diffuser n’importe quoi sans aucune conséquence. Et c’est à cause de ça que dans l’Union Européenne, on a plusieurs projets de régularisation de grandes plateformes, qu’il y a la responsabilité du contenu d’une certaine façon, et la diffusion du contenu s’ils ne sont pas corrects. On a besoin aussi d’observations. On a besoin de fact-checking pour les organisations qui suivent, par exemple, les élections et qu’est-ce qu’ils disent les politiciens. Ils font des corrections, ils ne laissent pas n’importe qui dire n’importe quoi sans conséquence.

Et finalement, l’éducation est peut-être la meilleure. Plus d’éducation aux médias, plus résilients nous serons contre les différents influenceurs qui essaient de changer notre opinion. 80% de l’Europe trouve, selon l’Eurobaromètre, que la désinformation est un grand danger pour la démocratie1. On doit vraiment travailler contre la désinformation.

GK : On a entendu dans des épisodes précédents de ce podcast que cette question de la régulation était appréciée différemment selon le contexte et le pays d’origine. J’aimerais bien avoir rapidement vos avis, à Line et Sammy. Est-ce que c’est réaliste de vouloir réguler ? On sait simplement, pour rappeler le contexte, qu’en Europe, on est à la veille de l’application complète du règlement sur les services numériques, le DSA, Digital Services Act, qui demande des comptes de manière très sérieuse. C’est le premier effort réglementaire mondial qui est fait de manière aussi stricte vis-à-vis des plateformes et des contenus qui sont partagés en ligne.

La situation est différente au Canada où c’est vrai que vous êtes plutôt d’une école nord-américaine où la régulation n’est pas forcément vue immédiatement avec autant d’appréciation qu’en Europe. Quel est votre point de vue sur cette question-là ?

LP : Il est certain que la question de la régulation est très complexe, étant donné que nous sommes les voisins des États-Unis. Vous savez, présentement, on vit quelque chose d’assez triste au Canada. Le gouvernement canadien a décidé de demander à Meta, Facebook, Instagram, de partager un peu l’assiette publicitaire. Et en réaction à la nouvelle loi fédérale, Meta bloque tout le contenu des médias d’information sur Facebook et Instagram.

GK : Et pour rappeler le contexte, l’Australie avait dégainé la première avec succès, la France a embrayé le pas avec succès, le Canada a tenté, mais ça n’a pas marché et Méta a dit « non, non, vous n’aurez rien ».

LP : C’est ça. Alors, présentement, c’est vraiment un bras de fer entre Méta et le gouvernement canadien. Alors, si bien qu’on ne peut plus partager un article de journal ou un texte d’une radio ou d’une télévision sur Facebook, présentement, au Canada. Alors, c’est vraiment très, très navrant comme situation.

Alors, c’est très, très difficile de négocier avec tous ces géants, avec toutes les GAFA. La situation est difficile parce que Méta sait bien que s’il cède au Canada, c’est peut-être un précédent pour les États-Unis. Alors, la situation va se régler dans les deux pays en même temps, on espère, parce que c’est épouvantable. C’est-à-dire qu’il y a des gens qui ne s’informent que par les réseaux sociaux, qui ne vont pas voir les médias traditionnels. Et bien, en même temps, le contenu des médias traditionnels ne peut plus être sur ces réseaux sociaux.

Moi, je pense que la régulation, c’est sûr que les règlements, c’est une voie à suivre. Mais ce qui est important, la première défense, c’était l’esprit critique. C’est de développer l’esprit critique parce que les règlements ne peuvent pas tout régler. Il y aura toujours des informations qui vont passer. Et vous savez que les algorithmes, en plus, parce qu’on n’a pas parlé des algorithmes qui vous envoient toujours dans des chambres d’écho, c’est vraiment à la base l’esprit critique qu’il faut développer. C’est la première ligne de défense.

GK : Sammy, quel est votre point de vue sur la régulation des plateformes ? On sait que dans des pays, ou dans l’Union Européenne par exemple, où la gouvernance est stable et issue d’un consensus, ça peut être accepté plus facilement qu’au niveau d’un seul pays où le gouvernement n’est pas forcément toujours aussi stable ou qui peut-être a des intérêts aussi à ce que la population entende une seule partie des faits.

SM : En RDC, ça pourrait être un peu compliqué, mais jusqu’à là, la loi a été une loi ancienne qui ne tenait pas compte de toutes ces révolutions du point de vue des nouvelles technologies d’information. Donc la seule régulation qu’on a ici, c’est en fait la politique de Facebook, des régulations des contenus de Facebook, des luttes contre les fausses nouvelles.

Si je peux donner mon avis, en gros, la régulation est très importante, mais il faut qu’il soit fixé une limite entre cette régulation et la liberté d’expression, et ne pas violer la liberté d’expression. Et c’est très délicat à ce niveau-là.

NP : Oui, effectivement, c’est toujours cette balance pour arriver à trouver une limite entre favoriser les politiques publiques en faveur de la liberté d’expression, mais aussi de l’EMI, tout en essayant de réguler un peu les discours qui sont présents sur Internet. Ce sera le mot de la fin. Merci beaucoup. Merci à tous les trois. Kari Kivinen, responsable du développement de l’EMI à Faktabaari, Line Pagé, présidente du Centre québécois pour l’éducation aux médias et à l’information, et Sammy Mupfuni, directeur général de CongoCheck. Vous retrouverez tous les liens qui ont été évoqués dans la description de ce podcast. Et on vous dit au mois prochain. Merci beaucoup.

Merci de nous avoir suivis. Tous les épisodes sont disponibles dans votre lecteur de podcast favori. Odil le podcast est une collaboration entre l’Organisation internationale de la francophonie et Check First. Le site de la plateforme francophone des initiatives de lutte contre la désinformation est à retrouver sur odil.org, et sur Twitter @OdilPlateforme.

  1. [1] Eurobaromètre Flash 464 , 2018 ↩︎