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Les politiques publiques de prévention et de lutte contre la désinformation

par Paul-Alain Zibi FAMA

Cet article traite des forces et faiblesses des politiques publiques de lutte contre la désinformation mises en œuvre dans la plupart des Etats d’Afrique centrale (Cameroun, République centrafricaine, République démocratique du Congo et Tchad). En même temps qu’il analyse les politiques publiques de lutte contre la désinformation, l’auteur procède à une étude comparative des politiques publiques initiées dans chaque pays, en s’appuyant sur un examen minutieux des cadres institutionnels et réglementaires existants.

1. Introduction

Comme le soulignait Thoenig (Yves Mény, Jean Claude Thoenig « Politiques publiques », Revue française de science politique, 1990, 40-3, pp.394-397.), les politiques publiques relèvent de l’intervention des autorités investies de puissance publique et de légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique de la société ou du territoire(Ce texte s’inspire en partie d’une section d’un chapitre de livre de Kaddour Mehiriz, Jean Turgeon et Gilbert Charland, « Les politiques publiques et leur analyse », dans N. Michaud (dir.), Secrets d’État : principes et enjeux de l’administration publique, Québec, Presses de l’Université Laval.) 2011. p.14.). Elles reposent fondamentalement sur des éléments tels que l’origine de la décision et les documents publics adoptés. Il convient donc de présenter dans cette partie, l’origine des décisions prises par les autorités publiques de chaque pays focal, pour lutter contre la désinformation.

A- L’origine des décisions

Au Cameroun, plusieurs entités publiques et parapubliques interviennent dans la prise de décisions afin de prévenir la désinformation. C’est le cas notamment de l’Assemblée nationale qui vote les lois, du Conseil National de la Communication (CNC), qui contribue à la création des conditions favorables à la professionnalisation du secteur médiatique dans toutes ses composantes, appuie et renforce les capacités des acteurs du secteur des médias. Nous avons également l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication (ANTIC), qui assure la promotion et le suivi de l’action des pouvoirs publics en matière de TIC, la régulation, le contrôle et le suivi des activités liées à la sécurité des systèmes d’informations et des réseaux de communications électroniques ainsi qu’à la certification électronique.

En République centrafricaine, mis à part l’Assemblée nationale qui vote les lois et contrôle l’action du gouvernement, c’est le Haut Conseil de la Communication (HCC), organe de régulation des médias, indépendant sur le plan formel, légal et institutionnel. Il veille eu respect de la législation, de l’éthique et de la déontologie en matière d’Information et de communication.

En République Démocratique du Congo, c’est le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC), organe indépendant sur le plan formel, légal et institutionnel. Il est chargé de la Régulation des médias qui peut prendre des décisions pour prévenir la désinformation en RCD. Sa mission consiste à garantir la liberté de la presse, de l’information et de tout autre moyen de communication des masses. Le CSAC veille également à l’accès équitable des partis politiques, des associations et de toute autre personne aux moyens officiels d’information et de communication.

Au Tchad, l’Assemblée nationale partage avec la Haute Autorité des Médias et de l’Audiovisuel (HAMA), la prise de décisions pour prévenir la désinformation. La HAMA est une autorité Administrative indépendante sur le plan politique, légal et institutionnel et chargée de la régulation des médias et de la Communication. Elle a pour mission d’assurer la liberté de la presse, de garantir l’accès aux sources d’information et aux moyens publics d’information, de veiller au respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans la presse, la communication audiovisuelle et en ligne.

B- Les documents publics adoptés

Pour ce qui est des documents publics adoptés pour lutter contre la désinformation, le Cameroun ne dispose pas de loi spécifique de lutte contre la désinformation. Toutefois, l’Assemblée nationale a voté des lois qui punissent la diffusion des fausses nouvelles, notamment : le Code pénal camerounais en son article 113, la loi relative à la cybersécurité et la cybercriminalité en son article 78-1 et la loi régissant l’activité audiovisuelle au Cameroun en son article 8-3.

À l’instar du Cameroun, la République Centrafricaine ne dispose pas de loi spécifique contre la désinformation. Toutefois, une loi relative à la liberté de communication en Centrafrique a été votée par l’Assemblée nationale (Loi n°020-027, votée le 31 novembre et promulguée le 21 décembre 2020.) Elle remplace ainsi l’ordonnance n°05-002 du 22 février 2005 relative à la liberté de la communication en République centrafricaine et permet de sanctionner la publication/diffusion de fausses nouvelles via les médias sociaux. En outre, à ce dispositif juridique, s’ajoute un code de bonne conduite à destination des journalistes centrafricains en période électorale(« 2020-2021 – Code de bonne conduite des professionnels des médias en période électorale », Bangui, 9 novembre 2020.)

En République démocratique du Congo également, il n’existe pas de loi spécifique contre la désinformation. Néanmoins, l’utilisation des réseaux pour diffuser des contenus illicites ou tout autre acte pouvant entamer la sécurité des réseaux, est réprimée par les articles 141 et 191 de la loi n°20/017 du 25 novembre 2020, relative aux technologies de l’information et de la communication. Il faut préciser que les dispositions en matière de lutte contre la cybercriminalité en RDC se trouvent dans le chapitre 3 du titre IV de la présente loi (Chapitre 3, Titre IV : De la cybersécurité, de la cryptologie, de la cybercriminalité et de la fraude.)

Le Tchad, au même titre que les trois autres pays, ne possède pas de loi spécifique de lutte contre la désinformation. Toutefois, la loi relative à la communication audiovisuelle(Art. 34 (5) de la Loi n°020/PR/2018 du 10 janvier 2019 relative à la Communication Audiovisuelle), prévoit que les émissions et les reprises de programmes ou de parties de programmes ne doivent pas être susceptibles de comporter sous quelque forme que ce soit, des allégations, incitations ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur les consommateurs. Par ailleurs, la loi portant régime de la presse et des médias électroniques (rt. 93 de la loi n°31/PR/2018 du 03 décembre 2018 portant ratification de l’ordonnance n°025/PR/2018 du 29 juin 2018 portant régime de la presse écrite et des médias électroniques au Tchad) précise que « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelques moyens que ce soit, des fausses nouvelles, des pièces falsifiées ou mensongères attribuées à des tiers lorsque, faites de mauvaise foi, elle aura troublé l’ordre public, la sécurité publique, la cohésion nationale et l’intégrité du territoire, sera punie conformément aux dispositions du code pénal. »

2. Les cadres opérationnels de lutte contre la désinformation


A. Les actions de prévention et de lutte contre la désinformation

• Cameroun

Au Cameroun, l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication (ANTIC) a lancé une campagne de communication sur la propagation de fausses informations à propos de la pandémie de coronavirus. Depuis le 8 avril 2021, le régulateur précise à travers un message communiqué dans les médias qu’il s’agit d’une dérive punie par la loi. Dans le même ordre d’idées, la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme (CNPBM) a lancé une deuxième campagne de communication sur les discours de haine et la xénophobie au Cameroun. Pour mener à bien ces campagnes de communications et de sensibilisations, ces organes s’appuient sur l’expérience des Organisations de la Société Civile(OSC) (Au Cameroun, quelques organismes de la société civile travaillent en étroite collaboration avec les pouvoirs publics dans la lutte contre la désinformation. C’est le cas notamment de l’Association Camerounaise d’éducation aux médias (EDUK-MEDIA), ADISI- Cameroun et Defyhatenows.) Pour défendre la même cause, le Conseil National de la Communication (CNC) a pris comme mesures, la sensibilisation des professionnels des médias sur le renforcement des capacités des journalistes à lutter contre la désinformation en période électorale

• Centrafrique

Au sein de la masse populaire Centrafricaine, la désinformation et les rumeurs circulent avec conviction. On se fie beaucoup plus aux « ont dit » qu’aux sources officielles d’information. Bien qu’il existe des mesures de sanction des fausses nouvelles dans la législation centrafricaine, les régulateurs peinent à faire appliquer la loi. Toutefois des initiatives visant à prévenir et lutter contre la désinformation sont prises notamment par le HCC. Dans le cadre de son mandat, le Haut-Conseil de la Communication (HCC) avec l’appui de la MINUSCA (Mission multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation en République Centrafricaine), a élaboré un outil (Plan national pour la prévention de l’incitation à la haine et à la violence, Haut-conseil à la communication, République centrafricaine, 2020) qui décline les grandes orientations en matière de lutte contre la désinformation et les discours de haine. Ceci, afin d’anticiper et de prévenir la divulgation de fausses informations, les rumeurs, les discours de haine et d’incitation à la violence qui sont souvent sources de tensions socio-politiques en RCA. Cependant, aucune mention des réseaux sociaux, encore moins des médias en ligne n’est faite dans ce document qui sert de base de travail aux autorités. (JENDOUBI Saber, « Les réseaux sociaux centrafricains à l’aube des élections, symptôme avancé d’une crise politique à venir », Étude de l’Ifri, 2021. p.12.) Le 25 novembre 2020, le HCC, avec l’appui de l’ambassade de France, a lancé un nouveau dispositif de lutte contre la désinformation dans le but de former les journalistes sur le Fact checking.

• République Démocratique du Congo

En RDC, les actions en matière de lutte contre la désinformation visent prioritairement à former les journalistes professionnels. C’est le cas par exemple du forum (Forum sur les fake news, organisé du 21 au 22 juillet 2021 par l’UNESCO, à l’attention des journalistes. Radio Okapi/Ph. Martin Sebujangwe) sur la lutte contre les fausses informations organisées par l’UNESCO et le Bureau régional des Nations unies pour l’Afrique Centrale (UNOCA), en collaboration avec le gouvernement de la RDC. De telles actions visent à former les journalistes à la vérification de l’information, à reconnaitre une fausse information, à lutter contre la vulgarisation des fausses informations. Le paysage médiatique de la RDC étant en pleine évolution, l’émergence de la production journalistique sur internet a profondément modifié l’univers des médias. (Extrait des propos du Président du Conseil Supérieur de l’Audio-visuel et de la Communication (CSAC) lors des travaux des états généraux de la communication et des médias organisés le 3 mai 2022).

• Tchad

En mars 2022, la HAMA et l’Agence française de développement médias (CFI) se sont engagées à lutter contre la désinformation au Tchad, à travers un programme de renforcement des capacités des médias dans la lutte contre la désinformation et la manipulation de l’information. Il s’agit du projet Désinfox Tchad, inscrit dans la lignée du projet Désintox Afrique et qui vise à sensibiliser les médias du pays aux enjeux et moyens de lutte contre la désinformation et la mésinformation et à former des journalistes au fact-checking et à la production de contenus de déconstruction de fausses informations. La finalité dudit projet est de contribuer à la stabilité des médias face à la propagation de la désinformation au Tchad en garantissant l’accès de la population à une information vérifiée, impartiale et inclusive.

B. Soutien à l’Education aux Médias et à I’Information (EMI)

Dans un contexte régional où la littératie de base constitue déjà un véritable défi à relever, les éducations spécifiques, comme l’éducation aux médias et à l’information, s’avèrent assez éloignées des politiques publiques éducatives (Laurence Corroy et Géraldine Apo Yanon, « L’éducation aux médias et au numérique dans les curricula des pays francophones d’Afrique de l’Ouest », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 18 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 14 septembre 2022.) La réalité s’avère plus contrastée. Aucun curricula de la focale des pays ciblés par notre étude n’intègre l’éducation aux médias et à l’information, du moins sous cette appellation. En revanche, les concepts de médias, TIC et Information sont plus fréquemment utilisés.

Au Cameroun, le système Éducatif formel s’est davantage orienté vers une approche par compétence. Le Cameroun a introduit l’éducation aux médias essentiellement de la 6ème à la 3ème respectivement dans trois disciplines : les sciences humaines et sociale qui regroupent l’histoire, la géographie, le français, l’Informatique et l’éducation à la citoyenneté et à la morale. Mais il faut dire que l’EMI n’est pas encore prise en compte par les politiques publiques au Cameroun. Les pratiques courantes sont des initiatives des organisations de la société civile comme ÉDUK-MÉDIA (Association Camerounaise d’Éducation aux Médias.) qui produit des documents (Guide de formation en EMI 2022 » produit par Eduk-Média, dans le cadre du projet de jumelage des initiatives francophones de lutte contre la désinformation, 2020, p.19) de formation en EMI et contribue à la promotion de cette discipline à travers la recherche (Blaise Pascal Andzongo Menyeng, Paul Alain Zibi Fama and Marie Noëlle Oli Bilias, « Impact of Covid-19 on Cameroon’s educational system and média and information literacy (MIL),) sur l’institutionnalisation de cette discipline.

En Centrafrique, le Haut Conseil de la Communication organise des formations à l’intention des journalistes et des blogueurs sur le contenu du « Plan national pour la prévention de l’incitation à la haine et à la violence ». Ces initiatives visent à éduquer les acteurs des médias en matière de vérification de l’information (techniques de fact checking), les techniques de réfutation des arguments fallacieux et l’esprit critique de l’information. Mais à ce niveau également, le soutien du gouvernement à l’EMI reste très limité. À l’origine de ces réticences, le désintéressement des pouvoirs publics à l’EMI.

En RDC, l’absence de soutien à l’EMI est réelle et le problème de l’EMI à l’heure de la prolifération des réseaux sociaux dans ce pays a fait l’objet d’une conférence-débat à l’Institut Supérieur Pédagogique de Bukavu en juin 2022.

Au Tchad, Désinfox Tchad, mène des activités d’éducation des jeunes aux médias et à la citoyenneté numérique. Ce projet consiste à leur apprendre à utiliser les réseaux sociaux de manière responsable afin de contrer les différentes formes de dérives médiatiques à l’instar de la désinformation.

Conclusion

Au demeurant, à l’issue de cet état des lieux et des résultats de nos recherches sur les dispositifs publiques, nous pouvons faire une analyse qui sera assortie de quelques préconisations. Cette analyse porte tant sur les cadres institutionnels que sur le plan opérationnel de lutte contre la désinformation. L’examen des cadres institutionnels dans les pays ciblés par cette étude, fait clairement ressortir les limites des organes de régulation des communications électroniques, qui s’affirment difficilement comme de véritables leviers de la lutte contre le désordre informationnel. L’implication des régulateurs de la sous-région Afrique centrale en matière d’organisation des activités d’EMI, ainsi que de lutte contre la désinformation reste limité.

Par ailleurs, l’inexistence de cadres juridiques spécifiques à la désinformation freine le renforcement des cadres opérationnel de lutte contre ce phénomène. De ses difficultés, découlent quelques préconisations, qui sont notamment de faire évoluer les cadres normatifs et de renforcer la coopération entre les acteurs et les plateformes numériques afin de renforcer la lutte contre la désinformation. Il est également question de mettre davantage de moyens financiers pour l’accompagnement des projets de lutte contre la désinformation et l’appui à la cherche en EMI au niveau de la sous-région. D’autres initiatives innovantes en renforcement des capacités et techniques de lutte existantes méritent également être encouragées.

Bibliographie :

I- Ouvrages

Blaise Pascal Andzongo Menyeng, Paul Alain Zibi Fama and Marie Noëlle Oli Bilias, « Impact of Covid-19 on Cameroon’s educational system and média and information literacy (MIL), Friesem, Y., Raman, U., Kanižaj, I., & Y. Choi, G. (Eds.). (2022). Le Routledge Handbook of Media Education Futures Post-Pandemic (1ère éd.). Routledge. 558p. https://doi.org/10.4324/9781003283737

Belvia Refeibona «les enjeux de la désinformation en République Centrafricaine», Oubangui Médias, 2022. https://oubanguimedias.com/2022/05/04/les-enjeux-de-la-desinformation-en-republique-centrafricaine/ consulté le 12 septembre 2022 ;

Gilbert Charland, « Les politiques publiques et leur analyse », dans N. Michaud (dir.), Secrets d’État : principes et enjeux de l’administration publique, Québec, Presses de l’Université Laval.) 2011. p.14 ;

Jendoubi Saber, « Les réseaux sociaux centrafricains à l’aube des élections, symptôme avancé d’une crise politique à venir », Étude de l’Ifri, 2021. p.12 ;

Laurence Corroy et Géraldine Apo Yanon, « L’éducation aux médias et au numérique dans les curricula des pays francophones d’Afrique de l’Ouest », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 18 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 14 septembre 2022 ;

Yves Mény, Jean Claude Thoenig « Politiques publiques », Revue française de science politique, 1990, 40-3, pp.394-397 ;

II- Lois et code de bonne conduite

Loi n°2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité au Cameroun ;
Loi n°2015/007 du 20 avril 2015 régissant l’activité audiovisuelle au Cameroun ;
Loi N° 32/PR/2018 du 03 décembre 2018 portant ratification de l’Ordonnance N° 016/PR/2018 portant attributions, organisation et fonctionnement de la HAMA.
Loi n°020-027, votée le 31 novembre et promulguée le 21 décembre 2020.
« 2020-2021 – Code de bonne conduite des professionnels des médias en période électorale », Bangui, 9 novembre 2020.
Loi n°020/PR/2018 du 10 janvier 2019 relative à la Communication Audiovisuelle au Tchad.
Loi n°31/PR/2018 du 03 décembre 2018 portant ratification de l’ordonnance n°025/PR/2018 du 29 juin 2018 portant régime de la presse écrite et des médias électroniques au Tchad.

III- Guides

Claire Wardle, « Comprendre le trouble de l’information », First Draft Essential Guide, 2020, 60p.
Paul Alain Zibi Fama, Blaise Pascal Andzongo « Guide de formation en EMI pour les OSC », Eduk-Média, 2022, 19p. DefyHateNow, Guide pratique pour lutter contre la diffusion des discours de haineux en ligne au Cameroun,

IV- Plateforme internet

https://odil.org/politique-publique/