Entretien

GuinéeCheck, l’initiative citoyenne qui vérifie des nouvelles circulant en Guinée

Un entretien enregistré le 14 octobre 2021, publié le mercredi 1 décembre 2021

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Au coeur de l’initiative GuinéeCheck se trouve la volonté de créer un média citoyen, indépendant, au service de l’information vérifiée et sourcée. Leur vocation est de débusquer, sur toutes leurs formes, les fausses informations qui circulent sur Internet.

GuinéeCheck est née pendant la pandémie de Covid-19 grâce à un financement octroyé par CFI qui a permis à un groupe de journalistes de monter la plateforme de vérification des faits telle qu’elle est aujourd’hui. Mais à la fin de la période de financement, le projet ne pouvait pas s’arrêter là : le contexte sociopolitique du pays a poussé les membres de GuinéeCheck à continuer leur travail. Ils oeuvrent en parallèle de leur occupation journalière -souvent en tant que journalistes- pour le bien commun, en tant qu’acteurs de la société civile. 

L’initiative revendique son indépendance de quel que parti politique et vise à toucher un nombre maximal de consommateurs d’informations dans le pays. Grâce à leurs contributions dans d’autres médias, leurs statuts de blogueur et leurs expertises reconnues, les journalistes ont réussi à gagner la confiance du public.

Ils travaillent sur des affirmations envoyées par des citoyens ou récoltées dans des groupes Facebook malgré la difficulté, parfois, d’accéder à des groupes fermés où la désinformation se propage entre personnes convaincues.

Dans un pays où le taux d’alphabétisation avoisine les 30%, GuinéeCheck projette de créer du contenu sous forme de vidéo pour toucher une audience qui ne lit pas leurs articles.


Nelly : Bienvenue dans cette épisode de « ODIL le podcast » qui s’exporte aujourd’hui en Guinée. Nous recevons aujourd’hui Thierno Diallo qui est responsable de la plateforme de lutte contre les fausses informations GuinéeCheck.org fondée en 2020. Bonjour !

Thierno : Bonjour, bonjour à tous ceux qui nous suivent dans ce podcast 

Guillaume : Bonjour Thierno

Nelly : Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment est né GuinéeCheck et comment vous travaillez aujourd’hui ?

Thierno : La naissance de GuinéeCheck a eu lieu à l’occasion du tout début de la pandémie de la COVID-19 en Guinée. Au départ c’était une initiative qu’on avait mis en place plus ou moins pour lutter contre les informations par rapport à la pandémie de la Covid-19. Après quelques mois, ça a suivi l’élections présidentielle, ce qui a donné lieu à une vive tension et qui était une période très propice à la diffusion de fausses informations.

Logo de Guinée Check
Logo de GuinéeCheck

Vu le contexte, on s’est dit qu’au lieu de se limiter uniquement à la pandémie de Covid 19, mieux valait aussi s’intéresser à la situation socio-politique dans le pays, qui était très très tendue. Elle était déjà tendue depuis octobre 2019 mais on a connu la période la plus marquée par la tension autour de la présidentielle du 18 octobre 2020. À partir du mois de septembre, on a décidé d’au lieu de se limiter uniquement à la pandémie de la COVID-19, de s’intéresser aussi aux fausses informations qui ont rapport avec la situation socio-politique en Guinée.

Guillaume : Ce qui veut dire que vous étiez organisés, grâce à la lutte contre la désinformation qui touchait la pandémie et que vous avez pu continuer à utiliser ce groupe que vous êtes pour vous intéresser à ces autres problématiques. Qui constitue votre initiative ? Comment est-ce que vous recrutez les gens ? 

Thierno : D’abord il faut dire que le lancement de la plateforme a reçu le soutien de l’agence française de développement à travers CFI, donc en partie c’est eux qui ont appuyé le démarrage quand il s’agissait de la pandémie de la Covid-19. Puis quand on était déjà outillés, dès que le contexte s’y prêtait, on a estimé que même dans une situation où des fausses informations circulent, cela peut constituer un danger pour le pays lui-même. On va décider d’aller au-delà de la pandémie … Même si en ce moment on n’avait pas de moyens on est déjà outillés. Ce qu’on est en train de faire c’est aussi d’être acteurs de la société civile. Au delà de cette initiative, on avait d’autres initiatives qui n’étaient pas financées.

Partenaires de GuinéeCheck
Source : capture d’écran du site guineecheck.org 25/11/2021

Donc on avait continué et à ce niveau pour en faire en sorte qu’il y aie le moins de fausses informations possibles dans le pays. Quand je dis moins de fausses informations, ça ne se passe pas à la diffusion, parce que nous ne pouvons pas la contrôler. Mais si régulièrement, sur tout ce qui fait le plus grand buzz, on se retrouve au sein de notre équipe et qu’on décide de construire ça pour montrer pourquoi telle information est fausse, on s’est dit qu’il fallait le faire

Nelly: Donc vous avez commencé avec la pandémie de Covid-19 vous avez continué avec les élections en Guinée, donc un contexte de fake-news au niveau de la santé, un contexte aussi de fake-news qui circulaient au niveau politique … Qui est dans l’équipe de Guinée Check ?

Thierno : Dans l’équipe de GuinéeCheck, on est autour de cinq personnes : Sally Bilaly Sow, coordinateur de l’association Villageois 2.0 donc qui est d’office, aussi, le chef de projet de GuinéeCheck. Ensuite il y a moi qui m’occupe de tout ce qui est aspect éditorial, puis trois autres reporters avec lesquels nous collaborons, que l’on peut considérer comme étant des reporters, puisqu’on se voit comme une une plateforme d’information. 

Nelly : Vous avez parlé tout à l’heure dans les débuts de votre construction du CFI et de l’AFD, c’est vos sources de financement ? C’est votre façon de vous financer à GuinéeCheck ?

Thierno : Pour un début, c’était ça. C’est comme ça que l’on a commencé mais pas après parce que ces derniers mois on n’a pas beaucoup produits. Cela n’a rien à voir avec le début de l’initiative qui était financé, où ce n’était qu’une petite période du début qui était financée n’est pas après. Puisque le contexte s’y prêtait il y avait des fausses informations, on a continué. Mais ces derniers mois on a pas beaucoup produit parce que c’est beaucoup plus lié aux contraintes qu’on a ici, notamment comment repérer les informations qui font le buzz parce que généralement ce sont des informations qui se partagent entre groupes. Quand on est pas forcément dans ce groupe-là ce n’est pas possible de les avoir …

Guillaume : Pardon de vous interrompre mais quand vous dites que les informations se partagent sur des groupes, vous parlez de groupe WhatsApp c’est ça ?

Thierno : Non pas forcément WhatsApp mais des groupes Facebook. En Guinée, c’est ce qui est beaucoup plus utilisé.

Les fausses informations circulent beaucoup plus entre les groupes. Vous savez au sein des groupes Facebook, il y a des groupes communautaires. Pas Messenger ni WhatsApp mais plutôt des groupes communautaires, là où il y a 50 000, 100 000, parfois 500 000 personnes qui sont membres de groupes. C’est le noyau même de circulation des fausses informations.

Thierno Diallo, GuinéeCheck

Nous, si on est pas dans ces groupes, c’est ce qui fait que généralement on n’arrive pas à les avoir. L’autre chose aussi c’est que les informations sont partagés entre les pages donc là aussi on arrive à tomber sur certaines (d’entre elles, ndlr) mais on a pas les outils qui nous permettent de repérer quelles sont les publications qu’il faut vérifier. 

Nelly : D’accord donc ce que je comprends c’est que en fait les fausses nouvelles qui circulent en Guinée sont difficilement accessibles puisqu’elles sont dans des groupes plutôt fermés. Comment vous arrivez finalement à repérer les fausses nouvelles qui circulent ?

Thierno : D’abord, il y a principalement deux façons : c’est quand l’un de nous est membres de ce groupe, on les repère ou bien parmi les gens qui sont membres là-bas, ils nous les remontent. Il faut une capture d’écran parce que si cela se trouve être dans un groupe fermé même si on a le lien on ne peut pas accéder à la publication donc les personnes font des captures et il nous les remontent. 

Guillaume : Quand vous dites que vous avez réorienté votre travail sur de la vérification d’information de nature politique j’imagine que vous avez pu le faire parce que vous avez rencontré un certain succès en matière de lutte contre la désinformations à propos de la pandémie. Est-ce que le public vous a remarqué, est-ce que ça a été source de motivation ?

Exemple de vérification effectuée par GuinéeCheck

Thierno : Exactement. Il y avait certains faits qui étaient partagés et notamment dont on a eu à traiter mais qui après ont largement été aussi repris pour dire « Attention cette information est fausse : la preuve est que GuinéeCheck a consacré un article là-dessus pour montrer que c’est faux ». Ça nous a beaucoup aidé. Au-delà même de GuinéeCheck, nous qui sommes porteurs de cette initiative, on suit quand même une certaine notoriété auprès des gens. Généralement quand ça vient de nous c’est très facile de faire circuler de déconstruire une information pour montrer que, non cette information est fausse. Si on le fait, c’est au sein de nos communautés respectives. Les gens prennent ça pour adapter le reste. Ca nous aide beaucoup le faite qu’il y a cette confiance entre nous et en public qui n’est pas mal en terme de nombre.

Nelly : Donc vous avez parlé tout à l’heure du fait d’infiltrer des groupes et des gens qui vous envoyer des captures d’écran de fausses informations. Une fois que vous êtes en possession de ces fausses informations, quelle est votre procédure pour vérifier cette information ? Comment vous travaillez ?

Thierno : Pour vérifier ça, souvent ça vient avec une image. Généralement les fausses informations sont toutes accompagnés d’une image détournée. On utilise les outils comme Google image, on fait une recherche inversée pour voir si une fois la publication a été partagée quelque part 

Nelly : et après vous publiez directement un article sur Guinée Check ?

Thierno : On rédige un article mais en faisant en sorte qu’on puisse quand même prouver que, nous qui disons que c’est faux, nous puissions exposer les preuves matérielles qui nous ont permis de dire que c’était faux. Dans le processus de vérification des informations, il ne suffit pas de sortir un article en disant que ce que cette personne a dit c’est faux. Ce n’est pas suffisant. Il faut venir avec des preuves matérielles, des liens, des liens d’articles qui existaient déjà. Surtout si ça prouve que cela provient de médias qui avaient forgé une réputation, qui disent ensuite « je ne sais rien ».

Guillaume : Très bien. Au début vous avez financé votre initiative grâce à de l’argent qui était destiné à la lutte contre la pandémie. Il a fallu continuer une fois que vous avez pris cette décision d’aller au-delà de la pandémie. Comment est-ce que vous financer aujourd’hui ?

Thierno : C’est ce que j’ai dit, sur la poursuite. Nous d’abord, nous sommes des acteurs de la société civile en Guinée ici donc on est habitués à faire fonctionner des sources sans nécessairement attendre quelque chose en retour en terme de moyens pour nous.

On n’attend pas forcément d’avoir les moyens pour commencer, c’est ce qui fait la différence avec certaines initiatives. On considère ça comme une initiative citoyenne mais pas une initiative dont l’objectif est de se faire de l’argent.

Thierno Diallo, GuinéeCheck

Mais au-delà de ça, puisque tout fonctionnement nécessite des moyens, ce qu’il faut retenir, c’est qu’on est issus d’organisations qui ont au-delà de ce projet là le matériel nécessaire pour fonctionner. C’est ce qui fait que, par exemple, on peut se dire que pour vérifier une fausse information, on peut travailler pendant des jours là-dessus.

Par exemple, ce soir entre 17 heures et 20 heures, telle personne fait en sorte de trouver si « ça » c’est faux. Moi je peux dire, par exemple, que je suis tombé sur une information mais qu’elle est fausse. Je vais commencer à recouper pour réunir les preuves pour démontrer que c’est faux. Puis, par exemple, dire à Sally « moi je vais réunir les preuves pour montrer que c’est faux, toi prépare toi, de 17h à 20h tu vas commencer à rédiger. Tu vas rédiger un article pour dire que c’est faux en utilisant les éléments que je vais t’envoyer » Ce qui fait que au moins on n’a pas perdu la journée parce qu’on a d’autres activités aussi, là on peut trouver les moyens nécessaires à notre subsistance. En faisant comme ça, j’ai travaillé la journée, ma journée n’a pas été perdue mais je profite de mon temps libre pour le consacrer à cette initiative. 

Nelly : D’accord donc vous êtes issus de l’association « Villageois 2.0 » vous êtes des acteurs de la société civile. Est-ce que vous étiez des des vérificateurs d’information avant de monter GuinéeCheck, est-ce que vous étiez journaliste ?

Thierno : oui chacun d’entre nous a eu un parcours de journaliste. Pour ce qui est de la vérification des faits entre en tant que telle, c’est notre première expérience. On était déjà comme par exemple Sally ou moi, rattaché a des réactions ici. Nous sommes tous passés par un site d’information ici qui s’appelle kababachir.com. Un site pour lequel on a commencé à travailler quand on était étudiants donc les premières années qui ont suivi la fin de nos études universitaires, on a continué là-bas. On connaissait déjà le mécanisme pour tout ce qui est en lien avec le regroupement d’informations. Au-delà de ça, on est des blogueurs donc on a à notre disposition les principaux outils pour tout ce qui est en lien avec le traitement de l’information en ligne, que ce soit face a une information : quelles sont les premiers réflexes à voir, quel est le processus à suivre pour pouvoir éventuellement démontrer que telle image est fausse ou qu’elle a été détournée … On avait déjà ces outils, ces technique à notre disposition ce qui fait que ça nous a pas permis de pas beaucoup discuter pour faire fonctionner le site.

Guillaume : Alors, le taux d’alphabétisation en Guinée est assez faible : un tiers de la population sait lire et écrire. Est-ce que vous considérez ça comme un frein ou est-ce que ça vous motive à trouver des choses plus originales pour lutter contre la désinformation ?

Thierno : Oui effectivement c’est quelque chose quand même qui est une évidence. Il y a des chiffres qui disent que ce sont 28 %, certains disent 28 d’autres disent 35, en tout cas le taux est encore très bas. Bien que la population guinéenne ne soit pas beaucoup alphabétisée, il suffit d’observer la façon dont les gens consomment l’information en ligne pour se rendre compte qu’en réalité … Parfois, moi-même je me demande comment une population où beaucoup ne sont pas instruits mais il suffit que vous publiiez un article sur un site d’information ici et que vous sortiez quelques heures après, vous allez croiser des gens qui n’ont pas fait des études poussées mais qui vont vous dire « Ah, aujourd’hui il y a eu ça dans le pays » alors que l’information n’a été diffusée que sur un site d’information.

On ne devrait pas se contenter de ce taux qui est bas ou estimer que le travail ne valait pas trop la peine mais il faut faire en sorte de continuer. Au-delà de ça, on est en train de penser aujourd’hui -mais pour ça il faudrait qu’on aie un peu plus de moyens- à produire d’autres contenus, de nouveaux contenus sur de nouveaux supports. 

Ca peut être des vidéos parce que c’est ce qui cartonne beaucoup en Guinée. On a notamment constater que sur Facebook, une vidéo, on peut l’écouter et éteindre le site. C’est le type de contenu que beaucoup d’O.N.G. sont en train de mettre en place pour essayer pousser les communautés au maximum. Nous aussi, on est en train de réfléchir pour qu’on puisse mettre en place une équipe de vidéo qui pourrait nous permettre de repérer ces désinformations en ligne et de faire des vidéos pour démontrer par A+ B que ces informations sont fausses. Mais cela nécessite beaucoup plus d’efforts qu’un texte, qu’un article parce qu’au-delà de tout ce que cela implique comme recherche, il faut en être capable. C’est vrai qu’on est en train de mettre en place cette équipe, on a déjà les bases et on a aussi d’autres occupations, donc pour le moment c’est retardé un peu.

Nelly : Ça permettrait effectivement peut-être une diffusion plus large de votre travail ? 

Thierno : Exactement

Nelly : Comment vous avez réussi à gagner la confiance de votre public à Guinée Check ?

Thierno : Donc comme je l’ai dit d’abord, sur la confiance : avant Guinée Check on avait une confiance parce qu’on est des blogueurs. On fait partie de la première génération de blogueurs en Guinée donc ce qui fait qu’on a une communauté même si après il y a d’autres personnes qui sont venues et qui ont pas mal d’audience derrière mais nous on a gardé cette réputation d’être des gens qui, quand on diffuse une information, elle est vraie. C’est quelque chose qui nous a beaucoup aidé et ça a aidé la plate-forme à se faire entendre. Au-delà de ça il y a le réseauque l’on a aussi avec des grands médias ici, où il y a des gens avec lesquels on a l’habitude de collaborer. Il suffit que ces gens là, qui ont de leur côté leurs audiences, prennent un article pour en partager, un seul peut nous aider à renforcer la confiance qu’on a vis-à-vis du public 

Nelly : Bien sûr et puis je pense que ça permet un échange de bonnes pratiques entre les initiatives de lutte contre la désinformation. Est-ce que vous pouvez nous citer les médias avec lesquels vous collaborez et éventuellement d’autres initiatives éventuellement en Guinée et peut-être au sein de la francophonie ?

Thierno : D’abord il y a le site Vision Guinée, il y a Africa Guinée aussi … Ce sont des sites qui ont une large audience en Guinée et une excellente réputation vis-à-vis du public. Ces trois s’expriment en texte et au-delà de ces trois il y en a d’autres. Mais dans l’ensemble il y a cette collaboration entre nous et des médias. Au-delà il y a la société civile aussi que ce soit les blogueurs de Guinée. Il y a même le mouvement qui était composé des organisations de la société civile, il y a plus ou moins parfois des collaborations entre nous puisqu’ils vont nous aider. De temps en temps, il y avait des moments où on s’échangeait des informations, notamment dans le cadre de la lutte contre la désinformation.

Guillaume : Justement, si on en parlait de cette lutte contre la désinformation : est-ce que vous avez des types de désinformation qui reviennent souvent, des sujets qui reviennent souvent ? Surtout, est-ce que vous avez réussi à remonter à la source, à identifier les gens qui sont derrière ces désinformations en Guinée ?

Thierno : Si on enlève du lot tout ce qui est en rapport avec la Covid-19, quand on va surtout sur le terrain politique généralement, c’est la volonté de manipuler, la manipulation. Cela intervient des deux côtés au cours de la dernière année, c’est-à-dire que ce soit du pouvoir en place mais aussi de l’opposition. De ces deux côtés il y a eu des fausses informations qui ont été diffusées. L’idée c’est de, non seulement accentuer la division entre les uns et les autres, à creuser davantage le fossé qu’il y a entre ces deux entités, mais aussi c’est dans la volonté de faire porter à l’autre le chapeau de la responsabilité commune de c’est elle qui est violente ou c’est elle qui est à l’origine de tous les maux qui viennent dans le pays. La plupart du temps les responsabilités sont partagées. Je ne vais pas pointer du doigt un candidat ou l’autre mais les deux se sont comportés de cette façon.

Nelly : Avec beaucoup d’accusations j’imagine et des comportements violents … Donc si je comprends bien les journalistes de GuinéeCheck travaillent plutôt sur leur temps libre avec une occupation à côté. Comment vous arrivez à maintenir le projet à flot et à garder cette motivation de l’équipe ? C’est assez admirable quand même.

Thierno : oui oui. Comme je l’ai dit, on estime que c’est notre contribution en tant que citoyen, en tant qu’acteurs de l’information. Aujourd’hui il y a beaucoup de gens qui nous disent carrément « non le journaliste est mort puisque c’est les citoyens qui sont sur le terrain qui ont les mêmes outils à leur disposition, les mêmes techniques pour partager les mêmes informations » Ils estiment que : « pourquoi un journaliste continuerait à travailler ? » Alors que quand un accident vient de se produire ici, c’est pas évident qu’un journaliste soit à côté. Mais les citoyens seront  avec leur téléphone à leur disposition. C’est surtout que quand tel fait ce produit, le premier citoyen qui viendront, qui ont ces outils à leur disposition et qui savent prendre une photo et diffuser en ligne, pour eux c’est suffisant.

Sauf qu’on est dans un monde où moi, journaliste, je sais que je suis soumis à des règles notamment d’éthique. Je sais que je ne peux pas me permettre de faire n’importe quoi sauf que de leur côté ça ne leur dit rien puisque la plupart du temps, on a du mal à remonter à qui était la première personne qui a donné l’information puisque si ça se trouve, c’est pas quelqu’un qui était beaucoup connu, c’est pas évident qu’on puisse le faire. Mais en étant journaliste, c’est pas la première fois qu’on mesure que si c’est moi qui diffuse, tout le monde sait que c’est moi … Donc dans le cas où ce que je dis ce n’est pas vrai et que cela conduit à des violences par exemple, même si je ne le souhaite pas, c’est très facile de dire « non c’est Thierno qui a été la première personne à partager donc c’est lui qui est responsable ». On trouve beaucoup plus notre motivation à défendre cette valeur là c’est-à-dire à diffuser de l’information qui n’est pas manipulée.

Je l’ai dit tantôt, l’information en Guinée elle est souvent manipulée. Moi j’évolue actuellement au sein d’une rédaction, d’un site, je collabore avec d’autres médias, ici mais on a l’habitude de le dire : c’est qu’on est dans un pays où parfois même quand il y a la bonne information à disposition, si tu n’as pas une preuve matérielle tu as du mal à révéler. Ce qui fait que le temps pour toi de continuer à rechercher, il y a un citoyen qui a à la même information que toi mais lui ne se disant pas nécessairement qu’il faut avoir la preuve matérielle à disposition, il va se permet de la partager en ligne. Pour toi journaliste même si c’est toi qui as plus ou moins et le scoop mais si tu n’as pas à ta disposition des éléments matériels, ça te dit mieux vaut continuer à creuser alors que les citoyens ont commencé à le faire. Par principe je te dis ce que lui raconte là, on le savait déjà par telle personne

Guillaume : Avant de parler de l’avenir de GuinéeCheck, j’aimerais parler de la diffusion des contenus que vous produisez. Vous avez ce site Internet, Guinéecheck.org ; est-ce que vous êtes retournés dans les groupes Facebook ou WhatsApp dans lesquelles vous avez trouvé la diffusion de la désinformation pour poster vos vérifications et finalement toucher ces publics ?

Thierno : Non, ça pour vous dire la vérité on a pas l’habitude de le faire. Quand on diffuse des informations, quand on termine la rédaction d’un article, on le diffuse sur le site, on le partage à travers nos canaux. Parfois sur nos murs personnels aussi, mais on a pas l’habitude d’aller dans les groupes. Même si on va dans les groupes, mais on a pas en tête de dire que puisque c’est là qu’on a trouvé l’information, il faut nécessairement la publier là. Il nous est arrivé de partager dans des groupes mais c’est beaucoup plus l’objectif de pousser un maximum de personnes que dans la volonté de revenir vers des gens pour leur dire que ce qu’ils ont dit ce n’est pas vrai.

Nelly : vous avez parlé tout à l’heure d’un projet vidéo que vous aimeriez développer … Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur l’avenir de Guinée Check ?

Thierno : Oui l’avenir de Guinée check … Nous pensons qu’il sera beaucoup plus au niveau audiovisuel en fait. On se rend compte que c’est beaucoup plus facile de toucher les gens avec une vidéo même si c’est à travers des animations. C’est plus facile de toucher les gens que de les amener aller sur le site. On a l’habitude même de le dire, en Guinée ici, on n’aime pas trop lire. Généralement quand on poste un article, beaucoup de personnes commencent par vérifier la longueur. Ils vérifient déjà combien ça peut leur faire en temps de lecture donc quand on trouve que c’est trop long, beaucoup de personnes ne finissent pas les articles. Alors que c’est en terminant les articles qu’on arrive à se rendre compte réellement quel discours de l’information qui a été développé est fausse et aussi à quel niveau se situe l’origine de la fausse information qui a été révélée.

Exemple d’action menée par GuinéeCheck

Guillaume : on retient en tout cas que c’est un axe de développement important pour vous de créer des vidéos, de trouver des moyens de créer ces vidéos pour toucher des populations analphabètes qui restent comme les autres exposées à la désinformation. Est-ce que en complément à ça vous anticipez des actions sur le terrain ?

Thierno : des actions sur le terrain, pour le moment on n’en a pas prévu mais c’est des choses aussi que l’on pourrait faire. Le faire comment ? D’abord il y a eu une petite expérience qui a été menée, qu’on a pas poursuivi, c’était d’aller dans les écoles avec une photo, photo qui a fait l’objet de manipulation. On l’imprime sur grand format pour dire, on montre ça aux élèves pour leur dire « est-ce que vous croyez à ça ? » Il y a eu des expériences qui ont été faite mais ça ne s’est pas poursuivi. Mais ça c’est quelque chose qui pourrait continuer à l’avenir pour tout ce qui est sensibilisation contre les fausses informations. 

Pour revenir très rapidement par rapport à la vidéo, là aussi il faut comprendre en fait quel type de vidéos peuvent marcher en fonction des circonstances. Il faut que la vidéo ne soit pas longue parce que nous avons l’habitude dans d’autres projets de produire des vidéos, mais on s’est dit une vidéo faite pour être publié sur Facebook il faut faire en sorte qu’elle ne dépasse pas trois à cinq minutes même si c’est très rare qu’on arrive à cinq minutes. Quand elle n’est pas trop long et que c’est intéressant, les gens accepte de consacrer leur temps à son visionnage 

Nelly : on vous a entendu dans ce podcast, on pourra vous lire sur GuinéeCheck, et bientôt on pourra vous voir en vidéo … merci beaucoup Thierno Diallo d’avoir été avec nous pour nous expliquer votre travail à Guinée Check. On vous souhaite une excellente continuation dans tous vos projets

Thierno : merci Guillaume merci Nelly 

Guillaume : merci et bon courage à vous